Loi du 7 mai 1877 sur la police des cours d'eau non navigables ni flottables

114.        - 7 mai 1877. - Loi sur la police des cours d'eau non navigables ni flottables [0]. (Monit. du 25 mai 1877.)

Léopold II, etc .Les chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :

CHAPITRE I. -- Reconnaissance, régularisation et classement.

CHAPITRE II. -- Travaux ordinaires de curage, d'entretien et de réparation.

CHAPITRE III. -  Travaux extraordinaires d'amélioration.

CHAPITRE IV. - Police.

Section I. -- Usines et autres ouvrages.

Section Il. - Contraventions, poursuites, peines.

CHAPITRE V. - Disposttions générales

CHAPITRE I. -- Reconnaissance, régularisation et classement.

Art. 1.

L'autorité provinciale [1] fera dresser, avec le concours des administrations communales, par des agents dont elle fera choix, dans le délai et suivant les règles qui seront fixées par le gouvernement :

1° Un état indicatif de tous les cours d'eau non navigables ni flottables qui existent sur leur territoire;

2° Un tableau descriptif des cours d'eau ou sections des cours d'eau auxquels les dispositions de la présente loi seront applicables.

Art. 2.

 Les tableaux descriptifs se référeront aux plans cadastraux qui seront complétés [1], s'il y a lieu, et renseigneront notamment la direction actuelle du  cours d'eau, sa largeur, sa profondeur [2], ses dépendances, ainsi que les ouvrages qui modifient son état naturel. (Voy. ci-apres, n° 128, la circulaire du ministre de l'intérieur.)

Art. 3.

 Les rétrécissements, changements de direction et encombrements, les usines, ponts, digues, écluses, batardeaux, plantations et autres ouvrages existant sans droit, seront constatés, en outre, par deux procès-verbaux distincts ; dans l'un seront décrits les ouvrages dont la suppression ou le changement immédiat est reconnu nécessaire; dans l'autre, ceux dont le maintien ne semble ni dangereux ni nuisible.

Art. 4.

Ces états indicatifs, tableaux descriptifs et procès-verbaux seront exposés simultanément, pendant trois mois, au secrétariat de la commune.  Durant ce délai, toute personne a le droit de réclamer, .en se conformant à L'exposition sera annoncée par voie de publication et d'affiches, selon la forme ordinaire, dans toutes les communes intéressées.

Art. 5.

 Les propriétaires des ouvrages existant sans droit seront avertis individuellement et à domicile du jour de l'exposition.

L'avertissement indiquera la nature des ouvrages existant sans droit, en distinguant ceux dont la suppression ou le changement immédiat est reconnu nécessaire, de ceux dont le maintien peut être toléré provisoirement. Il sera donné sans frais, à la requête du collège des bourgmestre et échevins, par l'officier de police ou le garde champêtre du lieu, si les propriétaires habitent la commune, Dans le cas contraire, l'avertissement sera donné par lettre recommandée à la poste.

Art: 6.

 Les réclamations sont adressées au collège des bourgmestre et échevins. 

Elles contiennent élection de domicile dans la commune. Il en est donné récépissé par le secrétaire.

Le collège échevinal est tenu de les transmettre à la députation permanente, avec l'avis du conseil communal, dans le mois qui suit l'expiration du délai fixé à l'article 4.

Art. 7.

 La députation statue dans le délai de deux mois à dater de la réception de la réclamation à l'administration provinciale. - Sa décision est motivée ; elle est immédiatement transmise au collège des bourgmestre et échevins qui la notifient conformément à l'article 5.

Si le réclamant n'habite pas la commune, la notification est faite au domicile élu.

Art. 8.

 L'appel est ouvert auprès du roi contre les décisions de la députation permanente.

Il doit être interjeté, à peine de déchéance, dans le délai de deux mois à partir de la notification de la décision.

Le roi statue dans les trois mois à dater de la réception de la requête.

Art. 9.

Après l'accomplissement des formalités ci-dessus, les états indicatifs, les tableaux descriptifs et procès-verbaux sont arrêtés par le roi, sur l'avis de la députation permanente du conseil provincial.

L'arrêté royal ne fait aucun préjudice aux réclamations de propriété ni aux droits qui en dérivent.

Art. 10.

 Les ouvrages existant sans droit et dont le maintien n'est point reconnu dangereux ou nuisible, seront provisoirement tolérés.

Les collèges des bourgmestre et échevins prescriront la destruction, l'enlèvement ou la modification des autres ouvrages mentionnés aux procès-verbaux et le rétablissement des cours d'eau dans leur état naturel.

A cet effet, ils notifieront, dans le délai d'un mois, à chacun des intéressés, pour ce qui le concerne, un extrait du procès-verbal ci-dessus mentionné, avec sommation de satisfaire à leurs prescriptions dans un délai déterminé.

La notification a lieu dans la forme indiquée à l'article 5.

Art. 11.

 A défaut d'exécution dans le délai prescrit, le procès-verbal de contravention sera transmis au ministère public à fin de poursuites, conformément aux articles 27 et suivants de la présente loi.

Art. 12.

Les tableaux descriptifs, rectifiés, s'il y a lieu, par arrêté royal d'après les jugements rends sur les contestations, fixent l'état définitif du cours d'eau, sauf en ce qui concerne les ouvrages provisoirement tolérés; ces tableaux servent de règle pour les travaux de curage, d'entretien et de réparation.

Si, dans la suite, il est jugé utile de supprimer ou de modifier des ouvrages existant sans droit, il sera procédé comme à l'égard de ceux qui auront été reconnus actuellement dangereux ou nuisibles.

Art. 13.

 Les états indicatifs, tableaux descriptifs et procès-verbaux mentionnés aux articles précédents seront conservés au greffe du gouvernement provincial, et une copie en sera déposée au secrétariat de la commune.

Les changements qui seraient apportés par la suite à la situation que ces tableaux et états constatent, y seront immédiatement annotés tant à l'original qu'à la copie.

Art. 14.

 La dépense à résulter de l'exécution des articles i et 2 de la présente loi sera par tiers mise à la charge de l'Etat, de la province et de la commune.

CHAPITRE II. -- Travaux ordinaires de curage, d'entretien et de réparation.

Art. 15.

 Les travaux de curage annuel, d'entretien et de réparation à faire aux cours d'eau non navigables ni flottables et à leurs dépendances sont exécutés, avec le concours des riverains [3], s'il y a lieu, par les soins des administrations communales [4], sous la conduite des commissaires voyers ou d'autres agents spéciaux nommés par l'autorité provinciale.

La députation permanente, après avoir entendu les administrations communales et les agents ci-dessus désignés, fixe, pour chaque localité, les époques auxquelles ces travaux devront être commencés et terminés.

Art. 16.

 Les frais occasionnés par les travaux de curage, d'entretien et de réparation sont répartis entre les propriétaires riverains et les usiniers ou autres usagers.

La part contributive de chacun d'eux est fixée par le conseil communal, eu égard au degré de leur intérêt respectif, et en tenant compte de la détérioration qu'ils ont occasionnée, sauf recours à la députation permanente, dans le délai d'un mois, à dater de la notification de la décision.

Les cotisations ainsi établies ne peuvent être mises en recouvrement qu'après que les rôles en ont été rendus exécutoires par la députation permanente. Elles sont recouvrées conformément aux règles établies pour la perception de l'impôt au profit de l'Etat [5].

Art. 17.

Les obligations spéciales imposées, soit par l'usage, soit par des titres ou des conventions, sont maintenues et seront exécutées sous la même direction que les autres travaux de curage, d'entretien et de réparation.

Art. 18.

 Les ponts, digues et autres ouvrages privés sont entretenus et réparés par ceux à qui ils appartiennent ; à défaut d'entretien, la députation peut en ordonner la réparation à leurs frais.

CHAPITRE III. -  Travaux extraordinaires d'amélioration.

Art. 19.

 Les communes ou les particuliers qui veulent exécuter des travaux extraordinaires ou d'amélioration aux cours d'eau et à leurs dépendances, doivent y être autorisés par la députation et en supportent toute la dépense [6].

Néanmoins, si les travaux à exécuter par une commune en intéressent d'autres, ou si les travaux à exécuter par un particulier intéressent la commune du lieu de situation ou d'autres [7], la députation permanente peut, les conseils communaux préalablement entendus, mettre à la charge desdites communes une partie de la dépense proportionnée au degré d'intérêt qu'elles ont respectivement à l'exécution des travaux.

Art. 20.

Les travaux extraordinaires ou d'amélioration peuvent être ordonnés d'office par le roi ou par la députation permanente, les conseils communaux préalablement entendus [8].

La moitié des dépenses, au moins, est supportée respectivement par l'État ou par la province.

Le surplus est à charge de la commune du lieu de situation. Néanmoins, si les travaux intéressent d'autres communes, le roi ou la députation permanente peut mettre à leur charge une part de cette dépense proportionnée au degré de l'intérêt qu'elles ont respectivement à l'exécution desdits travaux [9].

Art. 21.

Chaque commune peut toujours, sous l'approbation de la députation permanente, répartir la dépense qui lui incombe entre tous les propriétaires intéressés [10], proportionnellement au degré de leur intérêt.

Toutefois, s'il s'agit de travaux exécutés par des particuliers, il sera tenu compte à ceux-ci de la part qu'ils ont à supporter dans l'ensemble des dépenses.

Art. 22.

 Les travaux extraordinaires ou d'amélioration sont exécutés d'après les mêmes règles que les travaux ordinaires de curage, d'entretien et de réparation.

Toutefois, le roi ou la députation permanente peut se réserver la direction ou la surveillance des travaux ordonnés d'office.

CHAPITRE IV. - Police.

Section I. -- Usines et autres ouvrages.

Art. 23.

Aucun moulin, usine, pont, écluse, barrage, batardeau et généralement aucun ouvrage permanent ou temporaire, de nature à influer sur le régime des eaux, ne peut être établi, supprimé ou modifié sans une autorisation préalable de la députation permanente.

Art. 24.

 La députation permanente fera établir aux usines et aux barrages les clous de jauge qu'elle jugera nécessaires.

Art. 25.

 Les usiniers et autres usagers sont tenus d'obtempérer, pour l'ouverture ou la fermeture des écluses, vannes et vantaux, aux réquisitions de la députation permanente.

Ils sont également tenus, en cas d'urgence ou lorsque les eaux dépassent la hauteur du clou de jauge, d'obéir aux injonctions de l'administration communale ou des agents chargés de constater ou de dénoncer les contraventions.

Art. 26.

 Les usiniers et autres usagers sont responsables de touts dommages que les eaux auraient causés aux chemins publics ou aux propriétés particulières, par la trop grande élévation du déversoir ou attirement, alors même que les eaux n'auraient pas dépassé la hauteur du clou de jauge.

Pour faire cesser ces dommages ou pour en prévenir le retour, la députation permanente pourra prescrire l'exécution des ouvrages nécessaires, et même réduire la hauteur du clou de jauge.

Section Il. - Contraventions, poursuites, peines.

Art. 27.

Sont punis de peines de simple police, sans préjudice des peines plus graves comminées par la loi pénale :

1° Ceux qui auront négligé de se conformer aux prescriptions données en vertu de l'article 10 et de l'article 26,§2, de la présente loi;

2° Ceux qui contreviendront aux articles 25 et 25;

3° Ceux qui dégraderont, abaisseront ou affaibliront, de quelque manière que ce soit, les berges ou les digues;

4° Ceux qui obstrueront les cours d'eau, y jetteront ou déposeront des objets quelconques pouvant entraver le libre écoulement [11];

5° Ceux qui y laisseront couler des liquides, y jetteront ou y déposeront des matières pouvant corrompre ou altérer les eaux, sauf les exceptions à déterminer par les règlements ,provinciaux, et, à défaut de ces règlements, par la députation permanente [12];

6° Ceux qui enlèveront ou déplaceront les clous de jauge, emploieront des haussettes, ou modifieront de toute autre manière l'état légal des moulins, usines ou prises d'eau.

Art. 28.

Seront punis des mêmes peines, s'ils n'en ont obtenu 1autorisation de la députation permanente, ceux qui déplaceront le lit des cours d'eau ou préjudicieront à leur état normal et régulier [13] par l'enlèvement de gazons, terres, boues, sables, graviers ou autres matériaux.

Art. 29.

 Dans tous les cas de contraventions à la présente loi, outre la pénalité, le juge prononcera, s'il y a lieu, la réparation de la contravention dans le délai qui sera fixé par le jugement et statuera qu'en cas d'inexécution l'administration communale y pourvoira aux frais du contrevenant qui, en vertu du même jugement, pourra être contraint au remboursement de la dépense, sur simple état dressé par le collège échevinal.

Art. 30.

Si le prévenu excipe d'un droit de propriété ou autre droit réel, le tribunal saisi de la plainte statuera sur l'incident, en se conformant aux règles suivantes : l'exception préjudicielle ne sera admise qu'autant qu'elle soit fondée sur un titre apparent ou sur des faits de possession précis, personnels au prévenu.

Les titres produits ou les faits articulés devront être de nature à ôter au fait qui sert de base aux poursuites tout caractère de délit ou de contravention.

Dans le cas de renvoi à fins civiles, le jugement fixera un délai de deux mois au plus dans lequel la partie qui aura élevé la question préjudicielle devra saisir le juge compétent et justifier de ses diligences; sinon, il sera passé outre au jugement.

Toutefois, en cas de condamnation à l'emprisonnement et à la réparation de la contravention, il sera sursis, pendant un nouveau délai de deux mois, à l'exécution de ces condamnations. Si pendant ce délai le prévenu justifie de ses diligences, le sursis sera continué jusqu'à la décision du fond.

Les amendes, restitutions, dommages-intérêts et frais seront exigibles après la condamnation. Si la question préjudicielle est ultérieurement décidée en faveur du prévenu, les sommes qu'il aura payées seront restituées.

Art. 31.

 Les communes peuvent agir par action civile pour obtenir la réparation de tout fait de nature à porter atteinte aux cours d'eau.

A défaut par elles d'agir, la députation permanente peut charger un commissaire spécial d'agir en leur nom.

 

Art. 32.

 Les agents voyers ou spéciaux dument assermentés ont, au même titre que les agents de la police judiciaire, le droit de constater les contraventions en matière de cours d'eau, et d'en dresser procès-verbal.

Les fonctionnaires des ponts et chaussées peuvent constater les contraventions aux articles 25 et 25.

CHAPITRE V. - Disposttions générales

Art. 33.

Si un cours d'eau intéresse plusieurs communes de la même province, en cas de désaccord entre les autorités communales, au sujet des questions relatives à son administration, il est statué par la députation permanente, conformément à l'article 79 de la loi provinciale.

Lorsqu'un cours d'eau intéresse plus d'une province ou des communes appartenant à des provinces différentes, en cas de désaccord, il est statué par le roi.

Art. 34.

Les décisions à rendre par les députations permanentes, conformément aux articles 19, 20 et 25 de la présente loi, seront précédées d'une enquête de commodo et incommodo dans les communes intéressées.

Les frais de l'instruction administrative à laquelle donneront lieu l'établissement, la suppression ou le changement des ouvrages dont il est question aux articles 25 et 21 sont à la charge des demandeurs et recouvrés comme en matière de contributions directes.

Art. 35.

 Un recours au roi pourra être exercé contre les décisions de la députation, rendues en vertu des articles 16, 47, 18 à 21, 25 et 26.

Ce recours devra être exercé par le gouvernement, dans les dix jours, à dater de la décision, par les administrations communales ou les particuliers intéressés, dans le même délai à dater de la notification qui leur en sera faite administrativement.

Art. 36.

 Dans un délai de deux ans, à dater de la publication de la présente loi, les conseils provinciaux feront la révision des règlements existants sur la matière.

Les nouveaux règlements ne seront exécutoires qu'après avoir été approuvés par le roi.

Art. 37.

Les peines à établir par les règlements provinciaux ne peuvent excéder les peines de simple police.

Les peines plus fortes qui sont portées par les règlements en vigueur sont réduites, de plein droit, au maximum des peines de simple police. *

Art. 38.

 En cas d'inexécution des ouvrages prescrits, des ordres donnés ou des jugements rendus en vertu de la présente loi, il est pourvu d'office à leur exécution par l'autorité administrative et aux frais des contrevenants.

Ces frais sont recouvrés sur simple état, comme en matière de contributions directes.

Art. 39.

 La présente loi ne déroge pas aux règlements des polders et des wateringues.

Promulguons, etc.

(Contresignée par le ministre de la justice, M. T. DE Lantsheere.)

====================================================================================

[0] Chambre des représentants.

Session de 1870-1871. Documents parlementaires. - Exposé des motifs et texte du projet de loi. Séance du 13 décembre 1870. p. 149 à 157.

Session de 1875-1876. Documents parlementaires. - Rapport. Séance du 26 janvier 1876, p. 86-114.

Session de 1876-l877. Documents parlementaires.  - Rapport sur les amendements. Séance du 19 janvier 1877, p. 110-118.

Annales parlementaires.            - Discussion.

Séances des 28 novembre 1877, p. 82;  29 novembre, p. 84-89, et 30 novembre, p. 91-99 ; 5 décembre, p. 102-110.     

 -- Rapport sur les amendements.

Séance du 5 décembre, p. 128-129. - Continuation de la discussion. Séances des S décembre,

p.102410, et7 décembre, p. 125-127. - Continuation de la discussion.         - Séances des 20 février 1877, p. 388-400 ; 21 février, p. 401-108: 22 février, p. 409-412 et. 42L42G: 25 février, p. 413-422; 27 février, p. 42M38, et 28 février. p. 459-446 et 472. - Second vote et adoption. Séance du 7 mars, p. 482485.

Sénat.

Session de 1876-1877.

Documents parlementaires. - Rapport. Séance du 22 mars 1877. p. 8-10.

Annales parlementaires. - Discussion et adoption. Séance du 1er mai 1877, p. 77-85 et 86.

Les limites imposées naturellement au travail d'annotation de la Pasinomie ne me permettent de reproduire intégralement ni  L’Exposé des motifs du projet, ni les remarquables rapports de M. de Zerezo de Tejada. - Le projet, d'ailleurs,  a été présenté á la chambre,  sous le ministère précédent ; le ministre de l'intérieur actuellement en fonctions y a apporté de nombreuses modifications ; d'autres modifications au projet primitif ont été admises dans le cours de la discussion a la chambre des représentants, en sorte que les motifs du projet ne sont plus en harmonie avec les textes de la loi, et cela est vrai également pour le rapport fait a la chambre.

Je prends, dans l'Exposé des motifs, pour la reproduire ici, l’introduction, qui est une espèce d'histoire de la législation sur la matière, et de la confection du projet .

        L'utilité d'une révision complète de la législation relative à la police des cours d'eau non navigables ni flottables a été reconnue depuis longtemps.

« Déjà, lors de l'instruction préparatoire à laquelle fut soumis le projet de loi relatif aux chemins vicinaux, plusieurs corps constitués exprimèrent le désir d'y voir introduire certaines dispositions concernant cette branche si intéressante de l'administration publique.

       « Le même vœu fut émis dans le cours des discussions parlementaires qui précédèrent l'adoption de la loi du 10 avril 1841 (Moniteur du 19 février 1840); mais M. le comte de Theux, ministre de l’intérieur, tout en reconnaissant, dès cette époque, l'utilité d'une loi nouvelle, destinée à réglementer l'usage des eaux non navigables et à en assurer le bon écoulement, ne crut pas pouvoir y donner suite.

« Des observations analogues furent reproduites lors de l'examen de la loi sur les irrigations, adoptée et publiée le 27 avril) 1848.

       « Il importait, avant de se fixer sur les mesures à introduire en matière de petits cours d’eau, de se rendre compte des effets produits par l’application de la loi sur la police de la voirie rurale, dont la plupart des dispositions semblaient pouvoir être utilement étendues à la matière dont il s'agit.

 En 1852, le conseil supérieur d'hygiène publique, à la demande du gouvernement, ouvrit un concours sur la question suivante :

       « Quels sont les changements à introduire dans la législation belge relative aux cours d'eau non navigables ni flottables, dans l'intérêt de l'agriculture, de l'industrie et de la salubrité publique ? »

       « Les procès-verbaux du jury institué pour apprécier le mérite des mémoires produits par les concurrents constatent que ceux-ci furent au nombre de dix et que le travail de deux d'entre eux était digne de fixer particulièrement l'attention du gouvernement.

« Trois des manuscrits envoyés en réponse à la question posée out été imprimés aux frais de L’Etat ; deux autres font été par les soins de leurs auteurs,

« Le résumé des idées émises par chacun de ceux qui ont pris part au concours se trouve consigné aux pages 2081 et suivantes. 1er  supplément, n° 183 du Moniteur belge, année 1853.

 Vers la même époque, M. Piercot, ministre de l'intérieur, adressait aux gouverneurs de province la circulaire suivante :

« L’insuffisance de la législation actuelle sur les  cours d'eau non navigables ni flottables ne saurait être méconnue, non plus que la nécessité  d'une loi générale destinée à combler les lacunes de cette législation.

« Le gouvernement a l'intention de présenter aux chambres un projet de loi sur cette importante matière; mais, avant d'en formuler les dispositions, il désire pouvoir s'éclairer des lumières des autorités compétentes.

« Les questions à examiner intéressent, à un égal degré, l'agriculture et l'industrie, la voirie vicinale et la salubrité publique. Elles doivent être étudiées sous ces différents aspects pour  recevoir une solution conforme aux exigences de l'intérêt général.

« Veuillez, monsieur le gouverneur, engager la députation permanente à y porter sa sérieuse attention et me faire connaître son avis sur les modifications qu'il conviendrait d'introduire dans la législation actuelle. La députation jugera peut-être à propos d'entendre, à ce sujet, les commissaires voyers, dont les idées pratiques et les connaissances spéciales semblent pouvoir lui être d'une certaine utilité pour l'appréciation des besoins auxquels il s'agit de pourvoir, etc.

« M. Van Hoorebeke, ministre des travaux publics, invita, de son côté, les ingénieurs des ponts et chaussées à lui transmettre leur avis sur le même objet, spécialement envisagé au point de vue des intérêts de la navigation.

« A la suite de l'enquête administrative ainsi provoquée par les deux départements, plus de soixante rapports, émanés des députations permanentes de MM. les gouverneurs de province, des ingénieurs en chef des ponts et chaussées, des commissaires d'arrondissement, des commissaires voyers, des commissions d'agriculture et des comices agricoles, furent transmis au gouvernement.

« Ces rapports concluaient presque unanimement à la nécessité d'une révision législative des dispositions en vigueur, mais différaient assez notablement entre eux quant aux mesures à adopter pour remédier aux inconvénients et combler les lacunes qui y étaient signalées ; ils furent soumis, en même temps que les mémoires produits au concours dont il est fait mention ci-dessus, à l'examen d'une commission d'hommes spéciaux qui, par la nature de leurs fonctions et l'étendue de leurs connaissances, se trouvaient en position d'apprécier, au double point de vue théorique et pratique, les difficultés que présente la matière et de les résoudre utilement en tenant compte de la diversité des intérêts en présence.

Cette commission instituée par arrêté ministériel du 24 février 1854, eut pour mission de préparer un projet de loi après avoir examiné les nombreux documents qui lui avaient été transmis.

        Ce travail, qui exigeait une étude approfondie de questions complexes et difficiles, ne fut terminé qu’en 1857.

        « Le gouvernement jugea à la fois prudent et convenable de ht soumettre à l'examen des conseils provinciaux, en les invitant à en faire l’objet de leurs plus prochaines délibération.

        « Plusieurs conseils provinciaux se sont conformés à cette demande; d autres ont ajourné à l’année suivante l'étude du projet proposé par la commission précitée.

        Le conseil supérieur d’agriculture a, de son côté, consacré, dans le cours de sa session de 1858, plusieurs séances au même objet.

Les avis de ces différent corps  délibérants ont été pris en sérieuse considération dans la réduction du projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre. Si ce projet, dans ses détails, ne donne pas satisfaction à tous les vœux, solution irréalisable à raison de la contradiction parfois absolue des propositions émises au moins les concilie-t-il dans une juste mesure et accorde-t-il, dans son ensemble, a chacun des intérêts engagés la part qui lui est due en droit et en équité.

         « Un auteur  de notre époque, dont les publications sur la matière sont à juste titre estimées, M. Nadault de Buffou (Traite des usines, 1.34) a dit avec vérité « que la bonne administration des  eaux courantes d'un pays est une des bases essentielles de sa richesse et de sa prospérité. »

         « Les résultats obtenus dans la Campine et dans d’autres localités du pays ont fait ressortir a l'évidence les bienfaits des irrigations convenablement dirigées.

         D’après un rapport présenté en 1851 au gouvernement par M, l’ingénieur en chef Kümmer, quelques travaux habilement effectués out suffi pour rendre six ou sept fois plus considérable qu'elle ne l'était la valeur de plusieurs milliers d'hectares de terrain.

         L'industrie, de son côté, trouve dans le cours et la chute des eaux une force motrice puissante et économique, qui augmente ses ressources et concourt à l’accroissement de la fortune publique.

        De nombreuses usines sont établies sur nos ruisseaux et nos petites rivières; mais, par un meilleur aménagement des eaux, leur nombre pourrait s’accroitre encore, de même qu'une extension notable pourrait être donnée aux irrigations. En effet, sous l'empire des lois actuelles, les riverains sont seuls admis à user des eaux courantes, tant pour l'irrigation de leurs propriétés que pour leur industrie; aucune prise d'eau destinée au service d’une usine ne peut même être établie que par celui qui possède à la fois les deux rives ; or, de volume des eaux qui excède souvent de beaucoup les besoins des propriétés contiguës, pourrait être avantageusement utilisé au profit d’autres propriétés ; cette observation s’applique à toutes les  exploitations, soit agricoles, soit industrielles, qui ne bordent pas le cours d'eau. L’osinier propriétaire d'une seule rive pourrait également être autorisé à user des eaux courantes.

 La législation en vigueur n'assure donc pas d'une manière suffisante le bon emploi des eaux.

Mais cette imperfection n'est point la seule qui appelle l'intervention du législateur.

Les limites de la compétence respective des différentes autorités administratives chargées d’assurer l'entretien, la conservation, l’amélioration des cours d'eau, sont indécises; les droits de ces autorités sont mal définis ; le3 mesures de police destinées à assurer l’écoulement régulier sont insuffisantes et  dépourvues de la sanction nécessaire: les principes de justice distributive, qui exigent que chaque citoyen contribue aux charges publiques proportionnellement aux avantages corrélatifs, reçoivent une application incomplète.

« Le défaut d'unité de la législation dont il s'agit et la confusion qui en est la conséquence ne sont pas les moindres griefs que l'on soit en droit d'articuler.

« M. Heptia, rapporteur de la section centrale chargée par la chambre des représentants d'examiner en 1859 le premier projet de loi sur la police des chemins vicinaux, disait à l’appui de son adoption :

« Si la nécessité et l'importance d'une foi avaient besoin d'être démontrées, il suffirait d'attirer un instant l'attention sur l'état actuel de notre législation relative à cet objet : les dispositions qui la règlent aujourd’hui se trouvent disséminées dans, un grand nombre de lois, d'arrêtés,  de décrets et de règlements dont il est presque impossible de former un corps de doctrine et dont il est souvent difficile de déterminer la force obligatoire. »

« Cette critique est, de tous points, applicable à la législation relative aux cours d'eau non navigables, laquelle repose, dans son ensemble, sur les nombreuses dispositions législatives et réglementaire suivantes :

1° Le décret du 22 septembre 1789 –janvier 1790, section III, article 2, qui charge les administrations de département, sous l'autorité et l’inspection du roi, comme chef suprême de la nation et de I ‘administration générale du royaume, de la conservation des rivières ;

2°  La loi des 12-20 août 1790, chapitre VI, $3, qui confie aux assemblées administratives le soin de rechercher et d'indiquer les moyens de procurer le libre cours des eaux, d'empêcher que les prairies ne soient submergées par la trop grande élévation des écluses des moulins et par les autres ouvrages d'art établis sur les rivières, de diriger enfin, autant qu'il ,sera possible, toutes les eaux de leur territoire dans un but d'utilité générale, d'après les principes de l'irrigation ;

3° La loi rurale des 28 septembre-6 octobre 1791, titre II, articles 15 et 16, qui fixe les limites de la responsabilité civile des particuliers en cas de dommages résultant d'une inondation ou de toute autre transmission nuisible des eaux et oblige les usiniers a tenir celles-ci  à une hauteur qui ne nuise à personne et qui doit être fixée par le directoire du département, d'après l'avis du directoire de district ;

4°  La loi des 14,24 floréal an xi (4 mai 1803). article 1er à 3, qui règle le mode d'après lequel il doit être pourvu au curage des canaux et rivières non navigables, à l'entretien des digues et ouvrages  d'art qui y correspondent, ainsi que les mesures à prendre pour la répartition et le recouvrement des frais y relatifs;

5° Les ar1icles 538, 556 à 563, 641 à 645 et 714 du code civil de 1804 ;

6° La loi des 16-26 septembre 1807, articles 27,33, 34 et 48, relative à la construction, à la conservation et à l'entretien des digues à la suppression de certains moulins et usines, ainsi qu'à L’exécution des travaux de desséchement et autres qui intéressent la sûreté ci la salubrité publiques;

 7° Les articles 437, 457, 462 et 471 du code pénal de 1810 ;

 8° L'arrêté royal du 2B août 4820, qui rend applicables, moyennant certaines modifications, aux moulins, usines, etc., mis eu mouvement par des cours d'eau non navigables ni flottables, les lois et règlements en vigueur concernant  les grandes rivières;

 9° L'arrêté royal du 10 septembre 1830, qui charge les députations permanentes des états provinciaux d'exercer la surveillance sur les cours d'eau non navigables et d’accorder les permissions nécessaires pour établir ou changer les moulins et autres établissements d industrie activés par ces cours d'eau:

 10° L’article 90, n° 12, de la loi communale du 30 mars 1850, qui charge le collège des bourgmestre et échevins de faire entretenir le cours d'eau conformément aux lois et aux règlements de l’autorité provinciale.

11° Les articles 85 et 86, no 6, de la loi provinciale du 30 avril 1836, qui accordent aux conseils  provinciaux le droit de faire des ordonnances de police en matière de cours d'eau, sous l’approbation du roi, ainsi que les règlements pris en vertu de ces dispositions par les neuf conseils provinciaux du pays ;

12° Les lois des 27 avril 1848 et 10 juin 1851, qui créent la servitude d¼quedue au profit des irrigations.et du drainage, etc.

       « Cet exposé rapide des imperfections que présente, à différents égards, la législa1ion actuelle concernant les ruisseaux et le, petites rivières, tend à justifier les plaintes nombreuses qui se sont élevées de tous les points du pays et qui ont été notamment formulées à diverses reprises au sein des conseils provinciaux et de la législature, plaintes que le gouvernement reconnait fondées et auxquelles il s'est efforcé de faire droit.

       « Le projet de loi a pour but d'introduire de l’unité dans une matière aujourd'hui si divisée et si confuse, d'établir nettement les droits et les devoirs de chacun d'après les principes du juste et de futile et surtout de rendre aussi productifs que possible pour l’agriculture et pour l’industrie le volume ainsi que le cours des eaux, tout en prenant en sérieuse considération les intérêts de la sûreté, de la salubrité et de la commodité publiques... »

       - Une question dominait tout le projet, la question de la propriété des cours d'eau non navigables ni flottables. Le gouvernement n'avait pas cru devoir trancher cette question dans le projet ; il ne se prononçait ni en faveur de la propriété privée, ni en faveur de la domanialité, il laissait les choses dans le statu quo.

La section centrale, à l’unanimité moins une voix, partageait cette opinion. Cependant, le rapporteur donnait un aperçu historique des divers systèmes que la question a fait surgir. - Je reproduis ici cette intéressante partie de son rapport.

 

- « Sous le régime du droit romain, les cours d'eau non navigables ni flottables appartenaient à ceux dont ils traversaient les terres. Certains auteurs, se basant sur des textes qu'ils ont mal interprétés, contestent jusqu’à un certain  point la vérité de cette assertion, mais nous prouverons plus loin qu'elle ne peut pas être sérieusement mise en doute. Le principe proclamé par cette législation offre une importance majeure par les conséquences qui s’en déduisent, car, comme le M. Wodon, dans son ouvrage sur le droit des eaux et des cours d'eau :

« Il ne faut pas oublier que le droit romain forme le point de départ de toutes les législations qui l'ont suivi, qu'il forme la source première de la plupart de nos institutions juridiques, et qu'il est arrivé jusqu'à nous avec de bien faibles altérations en passant à travers les temps féodaux.

 « Presque tous les principes du droit romain en matière d'eaux sont encore debout. C'est dans ce droit que l'on trouve toutes les solutions relatives aux cours d'eau, et qu'il faut encore suivre aujourd’hui, sauf de légères modifications. »

  « Le droit romain établit pour les eaux une triple distinction : 1° les eaux communes ; 2° les eaux publiques, et 3° les eaux privées.

« Les eaux communes étaient celles qui n'avaient point de possesseur, qui étaient vacantes et à la disposition du premier occupant ; enfin celles dont tous pouvaient se servir.

 « Les eaux publiques sont celles qui étaient la propriété de l'Etat et se trouvaient régies par les règles du droit public, telles que les fleuves, les canaux, etc., propres a la navigation.

 « Les eaux privées étaient celles des rivières et ruisseaux traversant les terres des particuliers et exclusivement destinées à leur usage. Beaucoup de lacs et d’étangs rentraient aussi dans cette catégorie.

 « Nous n'avons ici qu'à nous occuper de ces dernières. Plusieurs textes  précis et formels de la loi romaine prouvent qu'elle reconnaissait l'existence des eaux privées. En effet, la loi 1 D., § 5, de fluminibus, dit : Flumina quoedam publica sunt, quoedam non publica.  Comme le fait remarquer Dailoz, si certaines rivières n'étaient pas du domaine public, c'est donc qu'elles étaient classées dans le domaine privé; et s'il en est ainsi pour les fleuves, il devait en être de même, à plus forte raison, pour les cours d'eau non navigables.

« La même loi 1 D, § 4, dit ; Nihil enim differt à coeteris locis flumen privatum. S’il en est ainsi, les propriétaires, d’une rivière considérée comme privée devaient exercer sur elle les mêmes droits que sur leurs  terres traversées par ce cours d'eau,.

 « Les lois 4, § 11, et 5 D. Finium regundorum déclarent que l’action en bornage est sans objet lorsqu'un héritage a pour limite un fleuve public ; mais la loi 6 D, ajoute : Sed si rivus privatus intervenit, finimu regundorum agi potest. Il s'ensuit que l'action en bornage peut avoir lieu lorsqu'un cours d'eau privé sépare un champ d'un autre. Il en résulte encore que le lit de ce cours d'eau est censé faire partie intégrante de ces champs et appartenir à leurs propriétaires.

 « Un autre texte L.  11 D. 42, 24. dit encore : Portio agri videtur agua viva. Par l’eau qui constitue une portion du champ, on ne peut entendre ici que les rivières, ruisseaux, fossés et étangs, qui la contiennent.

« Comme l'auteur que nous avons cité plus haut le fait encore observer, la loi romaine établit une distinction formelle entre les fleuves, rivières, canaux et étangs qui appartiennent aux particuliers et ceux qui relèvent du domaine public, en proclament que l'interdit relatif au droit de naviguer ne s'accorde que pour les eaux publiques. Si privata sunt superscripta, interdictum cessat. L. 1, § 2, D, 43, 14.

« Tous ces passages et d'autres encore semblent établir clairement que l'existence des eaux privées n'est pas mise en doute par la loi romaine.

« Les auteurs qui n’admettent pas ce système s'appuient surtout sur un texte des Institutes (L. 2, titre 1, § 2), Flumina omnia et portus publica sunt.

Le mot flumen, disent ces auteurs, s’applique non-seulement aux fleuves, mais à toute eau courante qui coule dans un lit régulier. Donc, d'après eux, toutes ces eaux sont publiques.

« Cette interprétation parait beaucoup trop large. L’adjonction du mot portus semble indiquer clairement qu'il s’agit ici, dans l'esprit de la loi, de fleuves navigables qui possèdent des ports.

« Il est d'ailleurs peu probable que Justinien, qui, dans ses Institutes, ne fait que mettre en ordre les fragments du droit romain, aurait voulu, en matière de cours d'eau, inaugurer un droit complètement nouveau, et se mettre en contradiction flagrante avec le Digeste.

« Ensuite, si l'opinion de ces auteurs était fondée, que signifierait le passage suivant de ces mêmes Institutes, lib. 2, tit. 1, § 23 : Alveus ejus juris est cujus et ipsum flunen. Le lit appartient à celui qui est propriétaire du fleuve. Si tous les cours d'eau étaient publics, ce passage constituerait tout bonnement un non-sens.

        « Disons cependant que M. Rives et d’autres jurisconsultes encore s'appuient, de leur côté, sur ce passage du Digeste : Publicum flumen esse Cassius definit, quod perenne sit (L. 1, §3, D., de fluminibus, 43-P2), pour soutenir que toute rivière pérenne, c'est-à-dire dont tout le cours était continu, qu'elle fût ou non navigable, faisait partie du domaine de l'E1at.

        « Un grand nombre d'éminents jurisconsultes, Pothier, Championnière, Troplong, Garnier, Daviel, Pardessus, Toullier, Wodon, etc., soutiennent que sous les rois francs, à l'époque féodale et dans les temps qui ont suivi jusqu'à la révolution française, les cours d'eau non navigables ni flottables ont continué en droit à être la propriété des riverains. Plusieurs d'entre eux citent à l’appui de cette opinion une quantité de formules et d’actes publics et privés, déclaratifs et translatifs de la propriété, au moyen desquels les testateurs, donateurs et vendeurs transportent à d’autres personnes, avec droit d'en disposer, les cours d'eau ainsi que les champs, les bois, les prés, etc. L'authenticité de la plupart de ces actes est incontestable, et parmi eux il en est beaucoup de forts anciens. Ces auteurs s'élèvent avec force contre l’assertion des domanistes, qui prétendent que, lorsque, sous Hugues Capet, les bénéfices sont devenus héréditaires, les seigneurs justiciers et féodaux se sont attribué, au préjudice de l'autorité  royale, la propriété des cours d'eau non navigables ni flottables ; système qui aurait eu pour conséquence le retour à l'Etat de ces cours d'eau, lors de l'abolition des droits féodaux, en 1789.

        « Ils soutiennent que les détenteurs des fiefs et des alleux, comme ceux des autres domaines, ne possédaient les rivières et les ruisseaux que parce qu'ils étaient propriétaires des terres traversées par ces cours d'eau et non pas à un autre titre; que c'est en invoquant le droit aux vacants, que  tantôt les seigneurs justiciers, tantôt les seigneurs féodaux se sont emparés de certains cours d'eau et même de rivières navigables et flottables, lorsque ces dernières ne leur appartenaient pas par suite de concessions qui leur avaient été faites ; que c'est en vertu du même principe qu’ils ont conquis les rivières publiques et non navigables des Romains et d'autres beaucoup moins importantes qui n'avaient pas de propriétaires connus. Plus tard, lorsque la royauté est devenue plus puissante, elle a fait restituer à l'Etat les cours d'eau navigables, mais elle da pas réclamé ceux qui ne l'étaient point.

« Si le droit de propriété privée, dit M. Wodon, régi par les principes fondamentaux du droit romain, conservait toute sa force dans les pays féodaux, quelle puissance n'avait-il pas dans les provinces allodiales, et notamment dans nos provinces belges, qui se composaient en grande partie d'alleux et de francs-alleux ? Là, l'alleutier jouissait du dominium plenum, il exerçait son droit de propriété dans toute sa plénitude et son intégrité; sa propriété était affranchie de tout droit de directe ou de supériorité au profit d'un seigneur suzerain quelconque. Il ne pouvait qu'être en butte aux exigences et aux tracasseries des seigneurs justiciers, à l'occasion de leur police et de leurs droits de justice.

« Nous arrivons ainsi à cette conséquence que la domanialité privée des cours d'eau non navigables n'a pu subir la moindre atteinte de la part des seigneurs féodaux ; qu'il importait peu que la loi du contrat de fief ou de coutume attribuât tel ou tel usage de ces cours d'eau au seigneur ou au vassal, ou à tous les deux à la fois, cette attribution ne pouvant jamais, en aucun cas, les placer en dehors du droit privé,

«  En un mot, le sort de ces cours d'eau était le même que celui des terres adjacentes. Comme en droit romain, ils subissaient la même loi, la loi générale des lieux privés, locorum privatorwn. -

« Il ajoute plus loin : « Comme cette espèce d'eaux était continuellement restée en mains des riverains, seigneurs féodaux ou particuliers, les hauts justiciers n'ont pu y exercer sur une échelle assez large leur droit aux vacants immobiliers. Ils n'ont pu guère, à l'aide de ce droit, s'emparer que de quelques rares petits cours d'eau, où la possession des riverains pouvait être nulle ou incertaine. Aussi, en thèse générale, les cours d'eau dont il s'agit étaient la propriété des riverains, quels qu'ils fussent, seigneurs ou particuliers ; et ils ne subissaient pas la moindre atteinte du droit ou du domaine public.

« Des jurisconsultes d'une grande autorité, tels que Loyseau, Pothier et Domat ont professé, avant M. Wodon, la même doctrine, et ont constaté que sous le régime de la féodalité et aux siècles suivants une grande quantité de rivières étaient dominii privati.

« Les partisans de ce système mentionnent encore, pour en démontrer la vérité, un certain nombre d'édits des rois de France. Ils prouvent que les ordonnances royales de Philippe VI, du 28 décembre 1355, article 19; celle de François Ier, de décembre 1543; celles de Henri II, de février 1554 et de mars 1558 ; celle d'août 1669 el l'édit de 1715 constatent de la manière la plus formelle le droit de propriété des riverains sur les petits cours d'eau qui traversent leurs héritages.

           « Aussi, Merlin n'hésite-t-il pas à dire à ce propos : « Si nous ouvrons les ordonnances,  nous y verrons bien qu'elles attribuent à l'Etat la propriété des rivières non navigables; mais nous n'y apercevrons pas qu'elles touchent aux droits de propriété que les lois naturelles et romaines donnent aux maitres des terres adjacentes sur les petites rivières, qui par elles-mêmes ne sont ni navigables ni flottables. »

           « Les adversaires des domanistes accusent ces derniers de, mal interpréter, de tronquer et même de fausser, pour les besoins de la cause, les textes et les documents qu'ils produisent. Sans vouloir entrer dans la discussion de ces griefs, on doit cependant reconnaitre que les exemples mis en avant par les domanistes pour justifier leurs doctrines sont souvent loin d'être aussi probants qu'ils veulent bien le prétendre. Ainsi, par exemple, pour démontrer que les rois francs disposaient des petits cours d'eau d'une manière absolue, ils s'arrêtent trop au don du cours d'eau proprement dit, sans tenir assez compte que ce don est souvent accompagné de celui de villages, hameaux, forêts et grands domaines dont le cours d'eau en question n'est en bien des cas qu'une dépendance. En outre, il est fort possible que certaines rivières que les souverains, dans ces temps reculés, ont attribuées à des abbayes, des églises, etc., n'étaient point, à cette époque, bordées par des propriétés particulières, et parcouraient simplement des terrains vagues ou des forêts appartenant à la couronne.

           « Les auteurs qui combattent la propriété des riverains, tels que Lehret, Guyot, Chopin, Proudhon, Dalloz, Rives, etc., affirment de la façon la plus péremptoire que les riverains ne possèdent pas la propriété des cours d'eau non navigables ni flottables qui longent ou traversent leurs héritages. Tout au plus leur reconnaissent-ils certains droits collectifs provenant de la situation de leurs terres, des charges et des obligations qui en dérivent.

           « Les uns sont d'avis que ces cours d'eau font partie du domaine de l'Etat; les autres pensent qu'ils n'appartiennent a personne et que ce sont des choses dites : res nullius,

           « Les premiers prétendent que beaucoup de peuples conquis par les Romains ne conservaient, au dire de Polybe, aucune espèce de propriétés. Les vainqueurs s'emparaient des villes et de leurs habitants, des territoires et de toutes les rivières.

           « Ils en concluent que dans la Gaule tous les cours d'eau étaient, comme résultat de la domination romaine, attribués au lise de l'empire ; que, par la suite, Clovis, après son invasion, et les rois francs, ses successeurs, ont hérité de ce vaste domaine qui comprenait les rivières en général.

           « Ils ajoutent qu'il n'y a pas lieu, lorsqu'il s'agit de cours d'eau, d'invoquer sans cesse la législation romaine; que le droit national de la vaste contrée qui constituait jadis la Gaule est établi sur des principes tout différents. M. Royer-Collard fait remarquer, à ce sujet, que : « Cette habitude de décider les ques1ions de droit français par les textes du droit romain, habitude à laquelle cèdent souvent ceux mêmes qui en reconnaissent ouvertement l’inconvénient et l'abus, a conduit beaucoup de nos jurisconsultes à poser en principe, peut être un peu légèrement, que chez « nous les riverains sont propriétaires du cours et du lit des rivières qui ne sont ni navigables ni flottables. »

« Les domanistes pour établir leur système se prévalent d'un passage des Capitulaires de Charlemagne, article LXII, dans lequel cet empereur donne l'ordre à ses intendants de lui rendre compte tous les ans du produit de ses moulins, des péages sur les ponts et dans les bacs qui lui appartiennent, ainsi que de la pèche dans ses rivières.

« Or, disent ils, le capitulaire De Villis, qui renferme cette ordonnance, régissait peut-être le quart de la France et servit tout au moins d'exemple aux bénéficiers ou seigneurs laïques et ecclésiastiques pour régir les trois autres quarts du territoire.

« Il va sans dire que les auteurs (l'une opinion différente répondent, de leur côté, que le texte de cette ordonnance s'applique exclusivement aux rivières qui constituaient la propriété personnelle de l’empereur ou faisaient partie du domaine de la couronne, et nullement aux autres.

« D'après les domanistes donc, les cours d'eau en général, navigables ou non, appartenaient aux rois francs, soit mérovingiens, soit carlovingiens, et de leur temps les divers possesseurs de bénéficies, ne jouissant que de droits amovibles et viagers, durent se contenter du produit utile. Mais Hugues Capet, pour arriver à la souveraineté, rendit tous les bénéfices patrimoniaux et héréditaires

« C'est ainsi que, de simples détenteurs, les seigneurs féodaux devinrent propriétaires, et que leurs titres provisoires furent convertis en titres définitifs. Leurs seigneuries constituaient, à la vérité, un démembrement du domaine de l'Etat, mais ils n'en disposaient pas moins comme d'une chose qui leur appartenait légitimement et qui ne pouvait plus leur être disputée.

« Les eaux courantes faisaient partie de cette propriété ainsi acquise. Elles ont été l'objet d'actes nombreux d’aliénation ou d'inféodation, conservés dans les collections historiques, et, comme le dit encore M. Rives : « La propriété des eaux dépendait à tel point de la puissance publique qui régissait le territoire, qu'un gentilhomme ayant eau courante dans sa terre n'y pouvait défendre la pèche, sans le consentement du baron en la châtellenie duquel il se trouvait, et celui du vavasseur on bas justicier ». On peut voir, á ce sujet, les Etablissements de saint Louis, livre 1, chapitre CXXIL.

« Il fait remarquer aussi que les Consuetudines feudorum, qui ont été le code du droit de la féodalité, consacrèrent cet ordre de choses, en n'y portant point atteinte; elles ne plaçaient sous l'empire des droits régaliens que les voies publiques et les rivières navigables, et encore bien souvent cette dernière distinction n'était-elle point admise.

« Les domanistes ne pouvant baser leur raisonnement sur les ordonnances des rois de France dont nous avons parlé plus haut, ordonnances qui reconnaissent formellement le droit de propriété des particuliers riverains sur les petits cours d'eau, et se bornent à soumettre ces derniers à des mesures de police ; les domanistes disons-nous, invoquent diverses coutumes locales qui consacrent la propriété des seigneurs sur les eaux courantes de leur territoire. Ils mentionnent, entre autres, les coutumes du Bourbonnais et de Sens de 1500 et 1506, celles d'Amiens, d'Auxerre, de Boulogne, d' Anjou, du Maine, de Metz, de Normandie, de Tours, du Poitou, etc. Les unes, affirment-ils, déclaraient que cette propriété était un droit de fief ; les autres disaient qu'elle constituait un droit de justice.

« Ils invoquent aussi des lettres patentes de Louis XIV, qui autoris.ent les travaux à effectuer à certaines rivières, et transportent sans réserves et sans conditions aux concessionnaires les fonds et tréfonds de ces rivières et ruisseaux, leur en faisant don et supprimant tous droits existants de péage et de pèche, ils font encore remarquer que Louis XVI, par l'article 12 d'un arrêt du conseil du 5 novembre 1776, a pris une mesure à peu près semblable.

« Si nous envisageons maintenant la question au point de vue du droit moderne, nous voyons que la Constituante s'est exclusivement occupée de la propriété des rivières navigables ou flottables, et qu'elle n'a point décidé à qui appartiennent les autres cours d'eau. Les partisans du système qui attribue leur propriété aux riverains, et entre autres M. Wodon, concluent de ce silence que:  « la Constituante a proclamé implicitement le principe de la propriété privée des cours d'eau non assujettis à l'usage public. » Comme le fait observer l'estimable jurisconsulte dont nous venons de citer le nom, avant la révolution française, les rivières et les ruisseaux non navigables ni flottables qui avaient reçu une appropriation étaient généralement l'accessoire .des fonds riverains féodaux et allodiaux. Et la révolution française, en abolissant la féodalité, les a faits nécessairement tomber dans le domaine utile des propriétaires riverains affranchis de toute directe et de tous droits de banalité.

« La législation romaine accorde la propriété des eaux courantes aux riverains, et ses prescriptions sur ce point étant demeurées en vigueur pendant le moyen âge et jusqu'en 1789, il en résulte que la suppression de la féodalité a entraîné l'abolition de tous les droits qu'elle avait usurpés, et par suite le retour pur et simple de la propriété des cours d’eau non navigables ni flottables à ceux dont ils longent ou traversent les terres.

« Portalis est de cet avis lorsqu'il dit: « Le système féodal a disparu; conséquemment il ne peut faire obstacle aux droits des riverains... »

« Le code civil paraît consacrer cet ordre de choses.

« L'article 538, qui déclare que les fleuves et les rivières navigables et flottables forment des dépendances du domaine public, semble laisser les autres cours d eau dans le domaine privé.

« Le code civil reconnait aux riverains de ces cours d'eau plusieurs droits qui se rattachent essentiellement à la propriété foncière proprement dite, tels que les droits d'irrigation et d'alluvion. De plus, I article 2 de la loi du '15 avril 1829 attribue aussi aux riverains le droit déjà reconnu à leur profit par l'avis du conseil d'Etat du 27 pluviôse an XIII. On peut en induire que la législation française les envisage comme étant propriétaires fonciers.

« La même conclusion peut se tirer de l'article 645 du code civil, qui ordonne aux tribunaux de concilier, dans les contestations sur les eaux, les intérêts de l'agriculture avec le respect dû à la propriété, et de l'article 561 ,qui attribue aux riverains la propriété des îles et atterrissements qui se forment dans les rivières non navigables ni flottables

«L'article 640 du code civil parait donner lieu à la même interprétation. Il décide que les fonds inférieurs sont assujettis envers les fonds plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement. On peut tout au moins inférer de ce texte que le code ne considère pas les petites rivières comme appartenant à l'Etat sur toute l étendue de leur parcours, mais qu'il les envisage plutôt comme constituant une simple dépendance de tous les terrains qu'elles arrosent.

«L’article 644, § 2, du code civil autorise, de son côté, celui dont l'héritage borde une eau courante, autre que celle qui est déclarée faire partie du domaine public par l'article 558, à en user dans l'intervalle qu'elle y parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie de ses fonds, à son cours ordinaire.

« Par le mot user le code entend non-seulement que le riverain qui se trouve dans ces conditions peut se servir de l'eau courante pour irriguer ses terres, mais aussi qu'il lui est loisible de changer les dimensions de son lit; d'en multiplier artificiellement une section en creusant des canaux dont les deux extrémités viennent y aboutir, et même de modifier sa direction. On comprendrait difficilement que le législateur accordât aux riverains des droits aussi étendus s'il ne les reconnait pas propriétaires du cours d'eau.

« Un point dont il faut aussi tenir compte, c'est que dans les mesurages du cadastre et ceux des particuliers, les ruisseaux ont toujours été compris dans la contenance ,des terres et des prés comme partie intégrante, de sorte qu'ils sont soumis à l'impôt foncier, circonstance qui suppose nécessairement que les particuliers dont ils traversent les fonds en sont bien certainement propriétaires.

« Quant à notre pays et à la Hollande, deux arrêtés du roi Guillaume ler, ayant force de loi, l'un du 28 août 1820, et l'autre du 27 avril 1825, ont formellement tranché en faveur des riverains la question de savoir à qui appartiennent les petits cours d'eau.

« Nous ne pouvons mieux terminer cet examen sommaire des preuves alléguées à l'appui de cette thèse qu'en citant un passage qui forme la conclusion du livre de M. Wodon, cet énergique défenseur du droit de propriété des riverains : « Résumons-nous et faisons une récapitulation générale de tous les droits spéciaux et charges dont les cours d'eau sont susceptibles; il en sortira un grand enseignement pour le droit  moderne.

« Dans les rivières publiques, le droit de pêche appartient à l'Etat; dans les petites rivières et les ruisseaux, il appartient aux riverains.

« Dans les rivières publiques, le droit de bac et de péage appartient à l'Etat; dans les petites rivières, il appartient aux riverains.

« Dans les rivières publiques, le droit de moulins, d'étangs, de barrage et d'écluse appartient  à l'Etat; dans les petites rivières, il appartient aux Riverains.

« Dans les rivières publiques, le droit aux alluvions internes appartient à l'Etat; dans les petites rivières, il appartient aux riverains.

« Dans les rivières publiques, le droit d'extraire les pierres, les sables, les minerais, etc., appartient à l'Etat ; dans les petites rivières, il appartient aux riverains.

« Dans les rivières publiques, le droit d'usage matériel de l'eau appartient généralement au  peuple pour satisfaire ses besoins publics de navigation, de pèche, de puisage et d'abreuvage;  dans les petites rivières et ruisseaux, il appartient exclusivement aux riverains pour subvenir à leurs besoins privés d'irrigation, d'agriculture ou d'industrie.

« Dans les rivières publiques, les frais du curage incombent A l'Etat; dans les petites rivières, ils sont à charge des riverains.

« Dans les rivières publiques, les contributions foncières restent au compte de l'Etat ; dans les petites rivières, elles sont à charge des riverains.

« Y a-t-il rien de plus éloquent que ce tableau de comparaison entre les deux grandes classes des cours d'eau?

« Cet ensemble d'émoluments et de charges correspondantes ne prouve-t-il pas assez la divergence de leur nature? Ne démontre-t-il pas suffisamment le droit de propriété des petites  rivières en mains des riverains, et le droit de  propriété des rivières- publiques en mains de l'Etat, seul possesseur du domaine public?

« Existe-t-il au monde un droit de propriété  mieux caractérisé? »

« Les domanistes, au rebours de leurs adversaires, soutiennent que l'assemblée constituante, en détruisant la féodalité et les justices seigneuriales, a recouvré de plein droit le domaine des petites rivières usurpé, suivant eux, par le régime féodal. Ce système suppose que ces petites rivières n'ont pas appartenu aux seigneurs par le motif qu'ils étaient souvent propriétaires du sol arrosé par ces cours d'eau, mais qu'ils s'en sont emparés abusivement, en confondant leurs droits de justice avec le droit de propriété. Il faut en conclure encore que, pendant le moyen âge et pendant la période intermédiaire, les règles du droit romain, qui admettait les petits cours comme étant du domaine privé, n'ont plus été suivies et même ont été complètement écartées.

« A l'appui de cette hypothèse on invoque l'opinion de Merlin, qui dit : « Les seigneurs ne pouvant plus aujourd'hui, d'après l'article i de la  loi des 26 juillet-15 août 1790, se prétendre  propriétaires des chemins, il ne doit pas, par la  même raison, leur être permis de s'arroger la propriété des rivières, car le principe est le  même pour celles-ci que pour ceux-là. »

« On fait aussi valoir un autre argument que nous ne devons pas oublier de signaler. Vous prétendez, disent les domanistes à leurs adversaires, que les cours d'eau sont du domaine privé, et que, par l'abolition des droits féodaux, les riverains en sont devenus ipso facto propriétaires. Comment se fait-il alors que le législateur, qui a cru indispensable de rendre aux particuliers, par une disposition spéciale les droits de chasse et de pêche, dont ils avaient été spoliés, ait omis de restituer aux riverains, par une disposition analogue, la propriété des cours d'eau, que vous affirmez leur avoir été ravie antérieurement? Le silence du législateur sur ce point important prouve manifestement contre votre doctrine.

« On arguë aussi contre cette même doctrine des lois du 22 décembre 1789 et des 12-20 août 1790, qui chargent les administrations des départements sous l'inspection de l'autorité supérieure, des mesures à prendre pour la conservation des rivières, et du soin de rechercher et d'indiquer les moyens de procurer le libre cours des eaux et de les diriger vers un but d'utilité générale.

 « Outre ces lois, M. Rives mentionne expressément les dispositions suivantes de la loi des 22 novembre-1er décembre 1790 :

- Art. 1er Le domaine national, proprement dit, s'entend de toutes les propriétés foncières et de tous les droits réels ou mixtes qui appartiennent à la nation, soit qu'elle en ait la possession et la jouissance actuelles, soit qu'elle ait seulement le droit d'y rentrer par... droit de réversion ou autrement.

- Art. 2. Les chemins publics, les rues et places des villes, les fleuves et rivières navigables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les  havres. les rades, etc..  et en général toutes les portions du territoire national qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée, sont considérées comme des dépendances du domaine public »

« Bien que l'article 2 de la loi des 22 novembre-1 er décembre 1790 ne parle que des rivières navigables, M. Rives déduit de cette loi et des autres que nous venons de citer la conclusion suivante, qui semble avoir pour cet auteur un certain caractère d'évidence : 511 en est donc des rivières publiques non navigables comme des chemins publics ; elles continueront de leur être assimilées ;  les administrations départementales doivent conserver les unes et les autres comme une dépendance du domaine public, par la raison que leur usage est également commun a tous les citoyens, et que les petites rivières ne sont pas plus susceptibles que les chemins public d'une propriété privée. »

« Les domanistes se prévalent aussi du rapport fait à la Constituante par M. Arnoult, député de Dijon, à la séance du 23 avril 179i, qui, entre autres considérations qu'il serait trop long de reproduire, fait observer que les petites rivières ayant été envahies par les seigneurs justiciers au même titre et de la même manière que les fleuves navigables, comme eux elles doivent rentrer dans les mains de la nation; qu'en outre elles ne peuvent être l'objet d'une propriété particulière et spéciale, parce que toute possession exclusive est incompatible avec les vues que la nature s'est proposées en établissant l'union des sociétés sur la communion des éléments.

« La proposition de M. Arnoult fut écartée par une motion d'ordre, qui demandait qu'on se bornât à décréter le principe que les fleuves et les rivières navigables sont une propriété nationale.

« La même théorie de M. Arnoult n'eut pas plus de succès en 1791, car elle fut à cette époque écartée de nouveau lors de la discussion du projet de loi sur le code rural.

« Les domanistes s'appuient de même sur un amendement que Cambacérès, rapporteur du premier projet du code civil, proposa à la Convention, dans la séance du 7 septembre 1793, et qui met au nombre des biens nationaux : « les rivières tant navigables que non navigables, et leurs lits ». Il parait que cet amendement fut adopté, mais sans aucune espèce de résultat puisqu'il n'y eut point de vote définitif.

« Lorsque le projet du code civil fut représenté plus tard, des modifications y furent apportées au sujet des rivières non navigables.

« Les partisans du système que nous exposons en ce moment soutiennent donc que les  cours d'eau en général ne peuvent être l'objet d'une appropriation, parce qu'ils sont essentiellement affectes à l'usage de tous les hommes et qu'ils ont une destination d'utilité générale.

« Ils ajoutent que les petites rivières, quelque minime que soit d'ailleurs leur importance, se trouvent être, par la nature des choses, en corrélation intime avec les cours d'eau navigables.

Or, ceux-ci appartenant manifestement à l'Etat et les autres rivières contribuant à les créer, il serait peu rationnel de leur assigner un autre propriétaire.

« Ils n'oublient pas de faire remarquer aussi que la loi, en concédant aux riverains certains droits d'usage sur les cours d'eau non navigables ni flottables, tels que les droits d'irrigation, d'alluvion et de pêche, a voulu simplement leur donner une compensation pour les inconvénients attachés à leur voisinage, et que le terme même de droit d'usage est exclusif de celui de droit de propriété, car il serait par trop étrange d'autoriser expressément quelqu'un à se servir de la chose qui lui appartient.

« Le décret du 22 janvier 1808 semble confirmer cette manière de voir, puisqu'il déclare que lorsque le gouvernement s'empare d'une petite rivière pour la rendre navigable, il ne doit indemniser les propriétaires riverains qu'à raison des dommages qu'ils éprouvent par suite de l'établissement du chemin de halage, et non à raison d'une dépossession du cours d'eau et de son lit.

« D'autre part, la loi du 3 frimaire an vu, article 103, décide que « les rues, les places publiques servant aux foires et marchés, les grandes routes, les chemins publics vicinaux et les rivières ne sont pas cotisables. »

« Comme cette loi n'établit ici aucune destination entre les rivières, et qu'en outre elle les exempte toutes de l'impôt, les domanistes concluent de cette disposition qu'elles ne sauraient faire l'objet d'une propriété foncière.

« Ils citent encore à l'appui de leur thèse les articles 553 et b57 du code civil.

« L'article 553 prescrit que : « si un fleuve ou une rivière navigable, flottable ou non, se forme un nouveau cours, en abandonnant son lit, les propriétaires des fonds nouvellement occupés prennent, à titre d'indemnité, l’ancien lit abandonné, chacun dans la proportion du terrain qui lui a été enlevé. »

« Que devient ici le droit de propriété des riverains?

« L'article 557, de son côté, dit : L'alluvion formée par l'eau courante, qui se retire insensiblement de l'une de ses rives en se portant sur l'autre, profite au propriétaire de la rive découverte, sans que le riverain du côté opposé puisse y venir réclamer le terrain qu'il a perdu. »

« Le principe que les riverains sont propriétaires des cours d'eau non navigables a été admis par tous les jugements et par tous les arrêts qui sont intervenus pendant les vingt-cinq ans qui ont suivi la promulgation du code civil. Les défenseurs actuels de ce principe attachent à ce fait une importance d'autant plus grande qu'ils prétendent que la jurisprudence de celle époque était plus pénétrée du véritable esprit du code, que celle qui a suivi. Une doctrine opposée à celle qui avait toujours prévalu jusqu'à ce jour a été seulement inaugurée en Belgique par un arrêt de la cour de Bruxelles, du 7 mars 1832, et en France, par des arrêts de la cour de cassation du19 décembre 1826 et du 14 février1833. « Depuis lors, dans les deux pays que nous venons de citer, un grand nombre d'autres arrêts ont été rendus, tantôt dans un sens favorable aux opinions des domanistes, tantôt dans un sens, entièrement contraire.

« La jurisprudence sur la question de savoir à qui appartiennent en définitive les rivières non navigables ni flottables n'est donc fixée d'aucune façon. Elle varie même à ce point que, lorsqu'on tient compte de l'ensemble des décisions contradictoires émanées des cours belges et françaises, on peut affirmer que sur la matière qui nous occupe la jurisprudence n'existe plus.

« Disons, pour terminer, qu'en Angleterre, en Allemagne, en Russie, en Espagne, en un mot, dans tous les Etats de l'Europe, si l'on en excepte quelques territoires de l'Italie, la propriété des petits cours d'eau est attribuée aux riverains. Ce fait, qui présente un caractère de quasi-universalité, mérite de fixer l'attention. Nous n insisterons pas sur ce point, parce que la section centrale n'ayant pas, plus que le gouvernement, tranché la question en litige, notre rôle doit se borner à donner un exposé sommaire des deux thèses qui se combattent, sans nous prononcer ni pour l'une ni pour l'autre.

« La section centrale, dans sa première séance, a présumé, pour ses travaux ultérieurs, la domanialité de l'eau courante, du moins pour autant que celle-ci viendrait à excéder les besoins des riverains.

« Il est incontestable, en effet, que l'eau, aguaprofluens, bien que les riverains aient le droit de s'en servir à son passage, leur échappe sans cesse, parce qu'elle est de sa nature essentiellement mobile et fugitive. Elle se trouve tantôt dans tel lieu de la rivière, tantôt dans tel autre, se précipitant sans cesse vers les fonds inférieurs, et traversant les fleuves pour se jeter dans la mer. Que l'on attribue ou que l'on refuse aux riverains la propriété du lit des petites rivières, que l'on envisage l'eau comme constituant ou ne constituant pas un accessoire du sol, on ne peut cependant méconnaître que, lorsqu'elle n'est ni absorbée, ni utilisée, ni employée d'une façon quelconque sur son parcours, elle se dérobe fatalement à l'appropriation de ceux dont elle a un moment arrosé les terres, puisque, entraînée au loin, elle coule hors de leur atteinte.

« Oui, la loi met formellement l'eau courante à la disposition des riverains. Ils possèdent, à ce point de vue, un privilège qu'on ne pourrait leur enlever sans injustice. Mais faut-il conclure de leur droit d'usage incontestable que tout le volume d'eau d'une rivière se trouve être leur propriété absolue et exclusive à un tel point que ceux qui ne sont pas riverains ne pourraient sous aucun prétexte s'en servir, ni l'utiliser, alors même que la masse fluide, se renouvelant sans cesse, serait surabondante et dépasserait tous les besoins?  La section centrale ne pense pas qu'un semblable principe soit conforme à l'esprit de la loi. Il est évident que si l'opinion opposée venait à prévaloir, il faudrait chaque fois qu'une prise d'eau serait octroyée à un non-riverain, indemniser les riverains non-seulement du chef de la servitude de passage sur leurs fonds, mais aussi du chef de l'usage de l'eau. »

Dans le cours de la discussion à la Chambre, un membre, M. WOEsTE, déposa l ‘amendement Suivant :

« Je propose d'intituler la section II, du chapitre IV, de la façon suivante : Des droits des riverains, et d'inscrire en tête de cette section une disposition ainsi conçue :

« Le lit des cours d'eau non navigables et non flottables appartient à ceux qui peuvent justifier de leurs droits de propriété par titres, et, à défaut de titres, aux propriétaires riverains. Si ces propriétaires sont différents, chacun d'eux a la propriété de la moitié du lit, suivant une ligne que l'on suppose tracée au milieu du cours d'eau.

« Chaque riverain a le droit de prendre dans la partie du lit qui lui appartient tous les produits naturels et d'en extraire de la vase, du sable et des pierres, à la condition de ne pas modifier le régime des eaux et d'en opérer le curage conformément aux règles tracées par le chapitre II de la présente loi.

« J'ajoute à cet amendement la disposition additionnelle que voici:

« L'article 563 du code civil est abrogé en tant qu'il concerne les cours d'eau non navigables ni flottables. » (S. du 5 décembre 1876. Ann. parl., p. 110.)

Cet amendement, discuté pendant plusieurs séances, fut écarté par la question préalable, sur la proposition de M. Tesch.

L'honorable membre concluait en disant : « Je demande donc, et je crois que c'est la chose la plus utile à faire, que la chambre se borne à faire une loi de police et à laisser la décision de cette question à la loi générale.

« Quand vous aurez modifié le code civil, quand les questions si controversées et par la doctrine et par la jurisprudence et devant lesquelles les législateurs ont toujours reculé jusqu'à présent, quand ces questions auront été examinées par les juristes, qui se rendront compte de tous les intérêts qui y sont engagés, on nous proposera de modifier les articles 654 et 635 du code civil, et ces articles régleront tout ce qui a rapport à la police des eaux. Mais modifier le code civil dans une loi spéciale, ce n'est pas admissible, surtout en présence de toutes les incertitudes qui existent encore aujourd'hui. » (S. du 27 février 1877. Ann, part., p. 431.)

M. Delcour, ministre de l'intérieur, ajoutait :

« Je demande que la chambre veuille bien se prononcer sur l'amendement de l'honorable M. Tesch.

« M. Pirmez désirerait que la question restât ouverte ; il peut en être ainsi, mais non dans les conditions que propose l'honorable membre.

« Le gouvernement a déposé l'année dernière un projet de code rural dans lequel plusieurs dispositions touchent à la question des eaux.

« D'ici à l'époque où la chambre s'occupera de ce projet, le gouvernement et la législature pourront examiner d'une manière approfondie toute la question, au point de vue du régime des eaux.

Il y a donc tout avantage d'adopter actuellement l'amendement de l'honorable M. Tesch, de discuter les parties de la loi qui se rapportent aux questions de police et de réserver enfin les points soulevés par l'honorable M. Pirmez. » (Ibid., A nn. parl., p. 435.)

(1) L'autorité provinciale. D'après le projet, le tableau descriptif des cours d'eau devait être dressé par les administrations communales. Le changement a été fait sur la proposition le M. DOHET, qui le justifiait en ces termes : « Le travail qu'il s'agit d'exécuter n'est pas un simple travail d'intérêt communal; c'est, au contraire, un travail d'intérêt public, d'intérêt général, qui intéresse spécialement toutes les communes qui sont traversées par les cours d'eau.

« L'honorable ministre de l'intérieur nous dit qu'il donnera aux agents de l'administration communale des instructions qu'ils devront suivre et observer. Mais ce que le gouvernement ne pourra pas leur prescrire, ce sera de faire un travail de concert, d'ensemble et d'unité; ce qu'il ne pourra pas leur prescrire, c'est le choix des agents spéciaux qui seront appelés à effectuer ce travail.

« Eh bien: je vous le demande, quelle garantie pourra donc présenter à l'intérêt public, et même à l'intérêt privé, un travail effectué par une administration communale qui se trouvera en conflit avec les principaux administrés? Il faudra – et ce sera de toute nécessité, ou la loi n'atteindra pas son but - qu'on fasse élargir les ruisseaux, qu'on leur restitue leur état légal, car ils sont aujourd'hui dans une pitoyable situation.

« Les dimensions des cours d'eau ne sont nulle part observées, il y a aussi des mesures exceptionnelles. Ainsi, les usiniers, et tous ceux qui ont exécuté des travaux sur les cours d'eau seront mis en demeure de justifier devant l'administration communale de la légalité de leurs usines, de leurs ouvrages, et ce sont les membres de l'administration communale qui auront à délibérer sur la légalité ou sur l'illégalité des usines. Ce ne sera pas une chose indifférente, puisque les agents de l'administration communale seront également appelés à déterminer les usines, les ouvrages et les travaux dont la suppression immédiate devra être ordonnée.

« Mais je crois que ce travail est trop important, a un intérêt trop majeur pour le confier à des administrations communales, qui le feront effectuer au moins de frais possible. Aujourd'hui, sous l'empire de notre législation, c'est la députation permanente du conseil provincial qui est maîtresse, c'est elle qui fait les règlements provinciaux sur les cours d'eau; c'est elle qui dirige et qui surveille ; elle a un corps d'agents spéciaux qu'elle paye; elle a les agents voyers et les inspecteurs des chemins vicinaux; elle a, eu un mot, un personnel tout à fait organisé, chargé généralement de la surveillance des cours d'eau.

« Lorsqu'il se commet aujourd'hui une contravention à l'écoulement des eaux ou aux mesures administratives requises par le conseil provincial, qui donc la constate? Fait-on appel aux administrations communales, les consulte-t on ? En aucune manière. Ce sont les agents, qui connaissent les cours d'eau, qu'on charge de constater les contraventions et de les faire réprimer. Ils sont par cela même en mesure de constater les dimensions des cours d'eau. Ce travail, néanmoins, reste imparfait et incomplet, car, dans les bureaux des gouvernements provinciaux, on rencontre l'indication imparfaite des différents cours d'eau.

« C'est ce travail d'ensemble qu'il faut faire à nouveau; travail important, puisqu'il est destiné à régler les droits des propriétaires riverains et en même temps à déterminer les attributions de l'autorité publique, et je pense qu'on doit le confier à des agents spéciaux offrant toutes garanties de capacité et d'aptitude, et ce but ne sera pas atteint par l'article 1er tel qu'il est rédigé. » (S. da 5 décembre. 1876. A nn. parl., p. 104.

[1] Qui seront complétés. Dans l’état actuel des choses, les plans cadastraux sont souvent incomplets et plusieurs cours d'eau n'y figurent pas. Il y aurait, dans ce dernier cas, impossibilité d'appliquer la loi, si l'on ne complétait pas les plans cadastraux. (ibid. Disc. de M.de Zerezo.)

        - M. le ministre de l'intérieur a donné au sénat des explications claires et précises sur les tableaux descriptifs des cours d'eau ; voici comment il s'est exprimé :

M. Deleour, ministre de l'intérieur : « Messieurs, à l'occasion de l’explication demandée par l'honorable sénateur, permettez-moi de vous donner un mot de renseignements au sujet de l'article 1 er. Cet article renferme l'une des dispositions essentielles de la loi, puisqu'il établit le principe du grand travail à préparer par l'autorité administrative, pour la reconnaissance et le classement des cours d'eau non navigables ni flottables.

« Aux termes de cet article, il y aura à faire un état indicatif de tous les cours d'eau non navigables ni flottables qui existent dans chaque commune, et en second lieu un tableau descriptif des cours d'eau auxquels la loi sera applicable.

« Les tableaux descriptifs se référeront, comme le prescrit l'article 2, aux plans cadastraux et contiendront les renseignements relatifs à la direction du cours d'eau, à sa largeur, à sa profondeur, etc.

« Dans l'état indicatif, on trouvera la situation de tous les cours d'eau de la commune, aussi bien de ceux qui ne servent qu'à un usage en quelque sorte personnel, que des cours d'eau plus importants, d'un usage plus général.

« Mais, dans les tableaux descriptifs, on ne comprendra que les cours d'eau qui seront soumis au régime de la présente loi, c'est-à-dire tous les cours d'eau qui, par eux-mêmes, ont une certaine importance.

« Vous dire quelles règles seront suivies pour l'exécution de ces états et tableaux, me serait impossible dès à présent. La question a déjà été posée à la chambre des représentants, mais le gouvernement ne pourrait la résoudre avant que la loi ne soit faite.

« Dès que l'administration sera légalement investie du droit de dresser les états dont il s'agit, le gouvernement se concertera avec les provinces sur la marche à suivre.

«  Les députations permanentes seront consultées, ainsi que le département des travaux publics et toutes les autorités compétentes, pour intervenir dans un travail de cette nature et de cette importance.

« Le gouvernement aura donc soin de n'arrêter les règles d'exécution à suivre qu'après une étude approfondie et complète de la situation. Il suffit que, dans la loi, le principe du pouvoir confié à l'administration soit entouré de toutes les garanties que réclament les intérêts de la salubrité publique, la bonne direction des eaux et le respect du droit de propriété; or, toutes les dispositions contenues dans le chapitre 1er du projet de loi ont pour objet d'assurer ces garanties.

« Examinons le projet de loi à cet égard.

« Le classement d'un cours d'eau peut donner lieu à des contestations d'une double nature: ou bien le propriétaire prétendra qu'on aurait dû porter dans l'état descriptif tels cours d'eau, ou au contraire, il se plaindra de ce qu'on l'a fait.

« Eh bien, pour ces éventualités, comment les choses sont-elles réglées? Les articles 4 et suivants du projet présentent toutes les garanties réellement désirables. Quand l'état descriptif aura été arrêté, il sera rendu public ; tout le monde pourra l'examiner pendant un certain temps.

« Voilà donc le droit de réclamation parfaitement assure ; tous les états indicatifs, les tableaux descriptifs et procès-verbaux seront exposés simultanément pendant trois mois au secrétariat de la commune.

« Les contestations soulevées par les propriétaires dans un sens ou dans l'autre, arriveront d'abord au collège échevinal qui les soumettra à la députation permanente, avec l'avis du conseil communal.

« La députation statuera en premier ressort. L'appel est ensuite ouvert auprès du roi et ce n'est qu'après l'accomplissement des formalités prescrites et l'expiration des délais, que les états seront arrêtés et les réclamations définitivement jugées au point de vue administratif.

« Mais ce n'est pas tout. L'arrêté royal qui interviendra dans ces conditions ne fait aucun préjudice aux réclamations de propriété, de sorte que si un propriétaire se croit lésé dans ses droits, il aura encore, de par la loi, son recours devant les tribunaux.

« J'insiste sur cette dernière considération, qui fait connaitre d'une manière précise la véritable portée du tableau descriptif, qui n'a qu'une valeur administrative. S'il est reconnu judiciairement que le tableau renferme des indications erronées quant à la propriété de tel cours d'eau ou aux droits qui en dérivent, l'erreur devra être rectifiée.

« Le droit de propriété n'est donc exposé à aucune atteinte par le projet de loi; tous les propriétaires, quels qu'ils soient, pourront faire valoir leurs droits quant au ·classement, devant l'autorité administrative, et, si la décision administrative lèse leurs droits de propriété, ils pourront les revendiquer aussi auprès de l'autorité judiciaire ; lorsque celle-ci aura statué, les tableaux descriptifs seront rectifiés conformément à sa décision, c'est ce que le projet de loi détermine de la manière la plus formelle. » (S du 1er mai 1877. A nn. parl., p. 77 et s.)

[2] Sa largeur, sa profondeur. Le gouvernement proposait la suppression de cette disposition. Plusieurs orateurs en demandaient le maintien. M. THONISSEN, entre autres, disait :

« Pour réglementer utilement les cours d'eau, il faut au moins savoir ce que sont les cours d'eau en Belgique, et pour cela, il faut nécessairement en connaître la largeur et la profondeur. Sans ces indications indispensables, vous prescririez des mesures à la fois inefficaces et arbitraires.

« Quand un cours d'eau est obstrué, il faut enlever les atterrissements et rétablir la profondeur normale ; et comment fixera-t-on cette profondeur si elle n'est pas régulièrement t déterminée? D'autre part, quand une rive est affaissée, il faut la rétablir dans son état primitif, et, à cette fin, il est indispensable de connaître exactement la largeur du cours d'eau. En dehors de ces deux renseignements, on arrive inévitablement à l'arbitraire.

« On impose le curage aux riverains. Quand ce curage sera-t-il convenablement fait? Il faudra bien qu'il atteigne une profondeur et une largeur déterminées ; mais comment faire, si le tableau descriptif n'indique ni largeur, ni profondeur? N'est-il pas évident qu'on ouvre la porte à l'arbitraire le plus absolu?

« Aujourd'hui, on rencontre des commissaires voyers qui font arbitrairement enlever les joncs et les osiers qui garnissent les berges et que les propriétaires ont plantés pour raffermir les rives et prévenir l'écroulement des terres.

« En réalité, si l'on ne fixe pas la largeur et la profondeur des cours d'eau, on n'aura rien fait d'efficace, et il vaudra mieux remettre la loi à des temps meilleurs. Il est impossible de faire une loi sérieuse, si cette loi n'a pas pour résultat de faire déterminer, d'une manière fixe et durable, la largeur et la profondeur de tous les cours d'eau qui parcourent le pays. »

M. DE Zerezo ajoutait : « Pour obtenir un bon curage, il faut nécessairement que les autorités qui y président soient à même de prescrire à ceux à qui cette obligation incombe, les règles les plus précises; elles doivent pouvoir leur dire : Vous irez à telle profondeur, parce que la rivière a cette profondeur légale. Vous irez à telle largeur, parce qu'elle a cette largeur légale.

«Mais si ces autorités ne peuvent pas s'appuyer, dans cette circonstance, sur un état normal officiellement reconnu, il est évident qu'elles vont se trouver devant des difficultés qu'elles auront beaucoup de peine à résoudre.

« Je suppose, par exemple, le cas où une rivière, par la nature des choses, s’est considérablement rétrécie. Evidemment cet étranglement va préjudicier à sa bonne économie et nuire au libre écoulement   de ses eaux. Comment l'administration communale, chargée de surveiller le curage, s'y prendra-t-elle pour ordonner aux propriétaires riverains de donner plus d'extension aux rives de ce cours d'eau?

« Mais si la délimitation de la rivière n'est pas légalement faite, les propriétaires riverains pourront répondre qu'ils s'opposent formellement à cet élargissement par la raison que le code civil leur donne le droit d'acquérir les atterrissements. » (Ibid., p. 106 et 107.)

[3] Avec le concours des riverains, s'il y a lieu.

M. Tesch : « Je ne comprends pas comment ce concours sera fourni et réglementé. Je ne me rends pas bien compte du mécanisme de la loi sur ce point. »

M. Delcour, ministre de l'intérieur : « on a fait remarquer que lorsque le curage est exécuté régulièrement et convenablement par les riverains', il n'y a aucune raison de leur enlever le droit de l'effectuer; on a ajouté qu'en introduisant des ouvriers étrangers dans des propriétés privées, on s'exposait à des complications plus ou moins fâcheuses et qu'on occasionnait souvent le renchérissement du prix des travaux.

« Le conseil supérieur d'agriculture a donc été d'avis qu'il était utile de maintenir le concours des riverains.

« Mais on a objecté ce qui s'est passé dans la province de Brabant. Le règlement de cette province portait que le curage devait avoir lieu sans le concours des riverains. L'application de ce règlement a rencontré des difficultés; on a même signalé le cas de la ville de Tirlemont où, sans la participation des riverains, le curage aurait été presque impossible.

« Le gouvernement, afin de concilier tous les intérêts, a jugé opportun de maintenir le concours des riverains sous certaine réserve; il a donc admis que ce concours sera réclamé s'il y a lieu. »

M. Tesch : « De cette manière, je veux bien. » (S. du 20 février 1877. A nn. parl., p. 391 et s.)

[4] Par les soins des administrations communales. - La section centrale  voulait que le curage fût opéré directement par les riverains, comme cela se pratique actuellement dans deux provinces. Le système de la loi a été admis après une assez longue discussion. (Voy. S. du 20 février 1817. Ann. part., p. 388 à 397.)

[5] M. Tesch : « Il est bien entendu que c'est par le receveur des contributions que les cotisations seront recouvrées. »

M. Delcour, ministre de l'intérieur : « La disposition que je propose d'ajouter à l'article 15 est conforme à l'article 138 de la loi communale.

« Voici le § 1er de l'article 138 de cette loi.

« Les centimes additionnels aux impôts de l'Etat sont recouvrés conformément aux lois sur  « la matière et les impositions communales directes seront recouvrées conformément aux règles établies pour la perception des impôts au profit de l'Etat. »

« C'est cette disposition que nous appliquons pour le recouvrement des cotisations dont il s'agit. »

M. Tesch : « Cette disposition, si je ne me trompe, a précisément t donné lieu à des difficultés, et l'on s'est demandé si ces recouvrements devalent être faits par les receveurs communaux ou les receveurs de l'Etat. C'est pour éviter ces difficultés que je propose de dire : soit par les receveurs de l'Etat. » (S. du 20 février 1877. Ann. parl., p. 399.)

     -· Second vote (S. du 7 mars 1877. A nn. part. p. 482.)

M. Delcour, ministre de l’interieur : « Dans la séance du 20 février, l'honorable M. Tesch a demandé si le recouvrement des dépenses de curage, etc., à la charge des riverains devait se faire par les receveurs de l'Etat.

« Ce point a été examiné précédemment, d'une manière approfondie, par les départements des finances et de l'intérieur.

« La question avait été soulevée par M. le gouverneur de la province de Luxembourg. Ce haut fonctionnaire pensait également que le recouvrement des indemnités dues par les particuliers du chef de travaux de curage des cours d'eau, ordonnés d'office, devait avoir lieu par les receveurs de l'Etat.

« L'année dernière, les deux départements se sont mis d'accord pour reconnaitre que si la perception dont il est question doit s'effectuer d'après les règles établies en matière de contributions publiques, elle ne peut, néanmoins, avoir lieu que par l'intermédiaire des receveurs communaux.

« Il s'agit, en effet, de dépenses faites par les administrations locales, à charge de riverains; le recouvrement de ces dépenses constitue, en réalité, une recette communale et, par conséquent, il doit être poursuivi par le receveur communal, conformément aux articles 121 et 138 de la loi du 30 mars 1836.

« Il me parait qu'il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. »

     - Le paragraphe amendé est adopté.

[6] Et en supportent toute la dépense. - M. D E Zerezo : « Pourquoi, dans le cas dont il s'agit, ces communes devraient-elles nécessairement supporter d'une façon exclusive toute la dépense?

Elles doivent, ce me semble, dans certaines circonstances données et lorsque les travaux à entreprendre présentent un caractère d'urgence, pouvoir obtenir un subside soit de l'Etat, soit de la province.

« Il ne faut pas que lorsque ce subside est reconnu réellement nécessaire, il leur soit refusé sous prétexte que l'article 49 renferme une prohibition à cet égard.

« Si l'on admet le système contraire, il en résultera qu'aucun encouragement ne sera donné aux communes qui voudront faire preuve d'initiative et entrer dans la voie du progrès.

« Dans quelques-unes de nos provinces et notamment dans celle d'Anvers, où beaucoup de rivières, pour être mises dans un état convenable, demandent des travaux d'amélioration considérables, il est complètement impossible aux communes de les entreprendre avec les seules ressources dont elles disposent.

« Si donc elles ne peuvent pas compter sur le moindre concours de l'Etat ou de la province, elles ne feront absolument rien et elles se désintéresseront complètement du bon régime des cours d'eau. Elles laisseront s'empirer leur situation jusqu'à ce que, le mal étant devenu intolérable, l'Etat ou la province soient obligés de décréter d'office les travaux d'amélioration. Est-ce là le résultat que l'on veut obtenir ?

«Il faut donc, si l'on ne veut pas rendre impossible l'initiative des communes et si l'on désire, au contraire, comme l'exige l'intérêt public, qu'elles s'occupent spontanément de l'amélioration des rivières qui traversent leur territoire, qu'on ne commence pas par leur déclarer qu'elles doivent renoncer à tout espoir de subside.

« Ce que je dis des communes, je le dis en même temps des particuliers, parce que les motifs sont les mêmes.

« En conséquence, je crois qu'il importe de modifier l'article 19 comme suit :

« Les communes ou les particuliers qui veulent exécuter des travaux extraordinaires ou d'amélioration aux cours d'eau et à leurs dépendances, doivent y être autorisées par la députation permanente et en supporter toute la dépense; à moins qu'elles n'obtiennent à cet effet des subsides de l' Etat ou de la province. »

« Comme l'Etat et les provinces seront parfaitement libres d'accorder ou de refuser ces subsides, j'espère que le gouvernement ne fera pas d'opposition à mon amendement. »

M. DELCOUR, ministre de l'intérieur : « Je ne pense pas que l'amendement de l'honorable M. de Zerezo puisse être accepté.

« Que demande-t-il? Il se borne à indiquer que l'Etal ou la province pourront accorder des subsides à une commune qui fait des travaux d'utilité. Mais c'est de droit. Nous n'avons pas besoin d'inscrire cela dans la loi. Le gouvernement interviendra dans la limite des allocations portées au budget; et, d'après les règles établies, les députations permanentes feront de même.

« Je crois donc que l'amendement est sans objet. »

M. de ZEREZO DE TEJADA, rapporteur : « Je n'ai pas, pour ma part, interprété l'article 19 de la même façon que M. le ministre de l'intérieur. Il me semble que le texte de l'article est formel. Il dit que du moment où une commune veut exécuter des travaux d'amélioration à un cours d'eau, du moment où elle prend à cet égard l'initiative, elle doit nécessairement supporter toute la dépense.

« N'est-il pas à craindre que l'on ne se base sur ce texte pour décliner les demandes de subsides que feront les communes pour exécuter aux rivières des travaux qui n'auront pas été d'office ordonnés par l'Etat ou par la province?

« S'il est de droit que l'Etat ou la province peuvent accorder des subsides à une commune qui fait des travaux d'utilité, je ne vois pas trop pourquoi mon amendement ne peut pas être adopté.

« En présence du texte de l'article 19, je ne suis pas d'avis que cet amendement soit sans objet et qu'il soit inutile d'insérer dans la loi que les communes, dans le cas dont il s'agit peuvent obtenir une allocation. »

M. Tesch : « Il reste toujours à l'Etat la liberté de l'accorder ou de ne pas accorder. »

        . DE ZEREZo DE TEJADN, rapporteur : « Je prends acte de ces diverses déclarations. » (Ibid., p. 399.)

[7] Si les travaux à exécuter par un particulier intéressent la commune du lieu, etc. ... Un membre avait proposé la suppression de cette disposition, M. DElcoUR, ministre de la justice, s'opposant à cette suppression, disait : « Rendons-nous bien compte du système de la loi.

« Dans le chapitre III, qui s'occupe des travaux extraordinaires et d'amélioration, le projet prévoit diverses hypothèses : d'abord le cas de travaux d'amélioration faits par des propriétaires ou bien par des communes, ensuite le cas où il y a lieu d'ordonner d'office des travaux d'amélioration et il en accorde le pouvoir au gouvernement et à la députation.

« Or, que demande l'honorable M. Dohet? Que l'on retranche de 1 article 19 les mots « lorsqu'il s'agit de travaux à exécuter par les particuliers », alors que c'est peut-être là une des dispositions les plus utiles au point de vue de l'amélioration d'un cours d'eau.

« L'honorable membre craint l'influence du propriétaire qui, dans des vues personnelles et intéressées, ferait exécuter des travaux dont il songerait à faire retomber la dépense sur la commune.

« Mais qu'il veuille bien remarquer qu'il s'agit de travaux soumis à l'approbation de la députation permanente, et que celle-ci, qui doit entendre les communes, ne manquera pas de se placer au seul point de vue de l'intérêt communal.

« Il existe, je suppose, un ruisseau auquel on doit apporter des améliorations, faire un redressement, par exemple. La commune n'a pas les ressources nécessaires pour couvrir la dépense. Mais il y a dans la commune un propriétaire qui veut bien prêter ses fonds. Pourquoi voulez-vous, étant données toutes les garanties que la loi prescrit, que le travail ne soit pas exécuté par le particulier ? S'il en profite, il en profitera avec la commune, puisque le travail est fait avant tout dans un but d'intérêt communal.

« Si la loi n'offrait pas des garanties, je comprendrais les appréhensions de l'honorable membre. Mais toutes les précautions nécessaires sont établies.

« La loi organise le contrôle de la députation permanente. Et, messieurs, il ne faut pas supposer qu'une députation permanente, pour satisfaire à une ambition personnelle, serait capable d'ordonner un travail onéreux pour la commune.

« Je crois donc que l'amendement de l'honorable membre repose sur une crainte exagérée et n'aurait d'autre effet que d'entraver les travaux d'amélioration encouragés par la disposition dont il s'agit. » (Séance du m février 1871. – Annales parlementaires, p. 5% et s.)

[8] M. SAINcTELETTE : « Qui payera les frais d'un travail ordonné par la députation permanente, si ce travail, ce qui arrivera le plus souvent, ne concerne qu'une commune? Sera ce la province ou la commune ? »

M. DELeoUR, ministre de l'intérieur : « 11 faut chercher la réponse dans les dispositions mêmes de la loi.

« D'abord l'article 19 s'occupe des travaux que les communes ou les particuliers veulent exécuter avec l'autorisation de la députation permanente. Pas de difficulté pour ceux-là; l'article 8 dit qui supportera la dépense.

. « Ensuite l'article 20 s'occupe de travaux extraordinaires ou d'amélioration qui peuvent être ordonnés d'office par le roi ou par la députation permanente, les conseils communaux préalable ment entendus.

« La loi prévoit ainsi l'hypothèse où une commune s'abstiendrait de faire exécuter des travaux indispensables au point de vue de l'intérêt provincial, ou de la salubrité publique, et où par conséquent l'intervention de I autorité supérieure est nécessaire.

« Pour ce cas, voici comment, aux termes du même article 20, la dépense de ces travaux ordonnés d'office est réparti. La moitié de la dépense au moins est support respectivement par l'Etat ou par la province et le surplus est à la charge de la commune du lieu de la situation ».

M. ÑAINcTELETTE : « Quelle est la raison de cette répartition ? »

M. DELeoGR, Ministre de l’intérieur : « C'est pour tenir compte, dans une juste mesure, de  tous les intérêts engagés.

« Cette répartition se trouve clairement expliquée dans l'Exposé des motifs du projet de loi déposé par l'honorable Al. Pirmez.

« L'article 20, y est-il dit, n'exige pas l'avis favorable des conseils communaux : une telle condition rendrait impossibles les améliorations à réaliser dans un intérêt public, améliorations que chaque commune envisagerait naturellement a son point de vue exclusif et que l'opposition de l'une d'elles suffirait à entraver.

« Il importe, toutefois, d’assurer aux communes certaines garanties, qu'elles trouveront dans les articles 2b, § 2, et 21.

« Ce dernier article permet aux communes de répartir, sous l'approbation de la députation permanente, la part de dépense qui leur incombera, en tout ou en partie, entre les propriétaires intéressés.

« Si les travaux ayant pour objet l'amélioration d'un cours d'eau ont uniquement pour effet d'améliorer la situation hygiénique d'une commune ou de prévenir les inondations, qui dégradent les voies de communication et mènent  obstacle à la circulation publique, la caisse communale supportera seule la part des frais mis à sa charge parce que les intérêts de la salubrité, comme ceux de la viabilité des  rues et chemins, présentent un caractère de généralité qui exclut l'intervention directe des particuliers.

« Si, au contraire, les travaux n'ont d'autre mobile que de favoriser les irrigations et les exploitations industrielles, c'est-à-dire ne tendent qu'à la satisfaction de certains intérêts privés, il est juste que les particuliers supportent seuls la part afférente à la commune dans l'exécution des travaux.

« Si, enfin, les ouvrages projetés présentent un caractère mixte, la commune et les propriétaires auront à contribuer à la fois dans une proportion équitable.

« Le projet de loi, en subordonnant la répartition faite par les conseils communaux, en cette matière contentieuse à l'approbation de la députation permanente, offre des garanties aux contribuables, toujours admis à se pourvoir auprès de ce collège contre les résolutions de l'autorité locale, qui leur seraient préjudiciables, soit en les taxant à tort, soit en leur faisant supporter une part exagérée dans la dépense. »

« Ces explications sont de nature, me paraît-il, à éclaircir le doute auquel les deux articles en question donnent lieu d'après l'honorable membre ».

M. T2sCH : « L'honorable M. Sainctelette vient de dire, si j'ai bien compris, qu'il ne se rendait pas compte pourquoi toute une province devait intervenir pour payer des frais de curage ordonnés par la députation et qui seraient amenés par le fait d'une commune qui aurait négligé d'exécuter ces travaux ».

M. SAINCTELETTE : « Mans le système de ceux qui combattent la-domanialité ».

M.'TEsCH : « Dans le système du projet. Eh bien, je pense que ce cas ne peut pas se présenter. Il ne s'agit pas de travaux ordinaires ; il s'agit de travaux extraordinaires.

« Il doit être bien entendu que lorsqu'il s'agira de travaux que la députation permanente ordonnera d'office, de travaux qui ne seront occasionnés que par la négligence des communes, dans ce cas la province n'interviendra pas. Ce sera dans ce cas l'article 16 qui devra être appliqué.

« Ce n'est que dans le cas de travaux tout à fait extraordinaires que la province ou l'Etat devront intervenir. Mais quand il s'agira de travaux causés par la négligence de l'une ou l'autre commune, il ne peut incomber aucune charge, ni à la province ni à l'Etat.

« Je crois qu'il y a une assez bonne raison pour faire supporter une partie des dépenses par la province ou l'Etat, selon l'initiative prise par la députation ou le gouvernement, quand il s'agit de travaux extraordinaires et que c'est l'Etat ou la province qui en ont pris l'initiative »...

M. SAINCTELETTE : « Mais alors il y a déclaration de navigabilité ».

M. TESCH : « Du tout ; l'Etat peut décréter des travaux sans qu'il y ait pour cela déclaration de navigabilité ».

M. SAINCTELETTE : « Quels travaux » ?

M. TEsCH : « Je ne connais pas tous les cours d'eau du pays et ne puis par conséquent répondre à cette question. Il ne s'agit pas de navigabilité, il s'agit de travaux extraordinaires sur des rivières non navigables ni flottables que les communes auraient négligé de faire. « Si, par suite de l'état d'une rivière, il se produisait des inondations très-fortes et que les communes et les provinces ne fissent pas leur devoir, il doit rester l'initiative du pouvoir central. Eh bien, dans ce cas, je dis qu'il est nécessaire que l'Etat ou que la province, selon l'initiative prise, supportent une part de la dépense.

« C'est qu'ainsi les communes auront la garantie que les travaux ne seront pas ordonnés à la légère. Si l'on imposait toute la dépense à la commune, la province ou l'Etat qui seraient désintéressés ne mettraient pas autant de réserve, de circonspection pour ordonner les travaux, que lorsqu'ils seront tenus à une partie des charges qui en seront la conséquence.

« C'est le motif pour lequel l'article, tel qu'il est rédigé, a mon assentiment ». (Séance du 21 février 1877.-- Annales parlementaires, p. 404 et s.)

(1) M. LEFEBvRE : « Ifarticle 20, tel qu'il est rédigé dans sa généralité, s'appliquant à tous les cours d'eau non navigables ni flottables, produit des situations impossibles.

« Nous connaissons tous les travaux faits à la Senne dans le Brabant. Ces ouvrages exigent que l'on fasse, dans la province d'Anvers, des travaux énormes. Nous ne les demandions pas, nous étions très-satisfaits du régime de la rivière. Elle servait tant aux irrigations que, sur tout son parcours dans la province, à la navigation de bateaux chargés de matières pondéreuses, telles que briques, houille, etc.  Malgré ces faits, le gouvernement n'a jamais voulu lui reconnaître la navigabilité, elle rentre donc dans l'article 20. Or, il va y avoir å faire, pour des travaux que nous ne désirions ni ne demandions, une dépense de deux millions quatre cent mille francs. Ils seront toujours, d'après l'article 19, répartis pour un quart à la charge du gouvernement, un quart pour la province et une moitié ou douze cent mille francs à charge de quatre communes rurales.

« Voilà donc un article qui devient absolument impraticable dès le premier jour où il devra être appliqué. Il ne faut pas mettre, dans la loi, des choses qui ne soient pas pratiques ».

M. DELCoUR, mÎnTstre de l'intérieur : « Je commencerai par répondre à la question que vient de poser mon honorable ami, M. Lefebvre. La disposition de l'article 20 est certainement applicable à la Senne comme à tous les travaux extraordinaires ou d'amélioration qui seraient décrétés sur d'autres cours d'eau non navigables ni flottables. Il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. Je laisse de côté la question de savoir à partir de quel point, dans la province d'Anvers, la Senne est navigable ou non. Cette question n'est pas en discussion en ce moment. Ce qui est incontestable, c'est que l'article 20 s'applique à tous les cours d'eau compris dans le tableau descriptif qui sera arrêté en exécution des dispositions votées par la Chambre.

« La Senne tombe donc sous l'application de l'article 20 comme les autres rivières non navigables ni flottables ». (Ibid. - Ann. parl., p. 402 et 404.)

      - Discussion des articles 19 et 20, au Sénat.

M. LE BARoN T'KINT DE RooDENBEKE : « J'ai des doutes, sur la portée des articles 19 et 20 du projet de loi.

« D'après l'article 19, les communes peuvent être autorisées à exécuter des travaux extraordinaires d'amélioration, à la condition d'en supporter la dépense. D'après l'article 20, les travaux de ce genre peuvent être ordonnés d'office par le roi ou par les députations permanentes; et dans ce cas, la moitié de la dépense est supportée par l'Etat et par la province.

« L'article 19 vise donc des travaux d'intérêt local ; l'article 20, des travaux qui sont à la fois d'intérêt général, ou provincial et qui se confondent avec l'intérêt local.

« Appliquées aux cas spéciaux qu'elles prévoient, ces dispositions ne soulèvent pas d'observations ; mais il y a des cours d'eau dont l'amélioration est à la fois d'intérêt général, provincial et communal.

« Comment, pour cette catégorie de cours d'eau, se répartira la dépense des travaux extraordinaires dont la nécessité aura été reconnue ? Le projet ne le dit pas. Les articles 19 et 20 semblent exclure la possibilité d'une intervention simultanée de l'Etat, de la province et de la commune.

S'il en était ainsi, je ne saurais donner mon adhésion aux dispositions proposées, parce que je suis intimement convaincu que, dans la plupart des cas, l'amélioration du régime des cours d'eau ne sera possible qu'à l'aide des subsides réunis, venant suppléer à l'insuffisance des ressources locales.

« C'est le principe qui a été adopté pour la voirie vicinale; et il est bien certain que, sans l'effort combiné dont je viens de parler, la plus grande partie du royaume serait peut-être encore privée de routes pavées.

« Une répartition plus équitable de la dépense pourra seule prévenir l'opposition des communes rurales dont les résoudre, est sont généralement si restreintes et absorbées par d'autres besoins administratifs.

« Toutefois, j'aime a croire que l'article 20 ne comporte pas une interprétation aussi absolue. Il règle des cas spéciaux ; mais ne préjuge pas les mesures qui pourraient être prises en dehors des cas prévus, et n'interdit pas au gouvernement de faire intervenir l'Etat, par voie de crédits spéciaux, dans les dépenses d'amélioration pour lesquelles l'opportunité de cette intervention conjointement avec celle de la  province serait reconnue.

« Si cette interprétation n'était pas admise, je n'hésite pas à dire que, le plus souvent, la loi resterait une lettre morte, et cela au grand préjudice de l'agriculture, qui, vous le savez, traverse une crise redoutable.

« J'engage donc M. le ministre de l'intérieur, afin de faire cesser tout doute, à faire connaître au Sénat l'appréciation du gouvernement sur la question que je viens de soulever ».

M. LE coMTE DE MÉRoDE-WEsTERLoo : « Les craintes que vient d'exprimer l'honorable sénateur d'Eecloo sur le sens restrictif de l'article 20 de la loi soumise à nos délibérations, sont partagées par presque tous ceux qui ont à se préoccuper de la situation qui sera faite, dans l'avenir, aux provinces traversées par des cours d'eau ayant une faible pente et exigeant des améliorations coûteuses, alors que leur sol n'est point assez riche pour supporter la dépense nécessaire et que l'on peut caractériser d'intérêt général ; car j'appelle, doutes, sur la portée des articles 19 et 20 du projet de loi.

« D'après l'article 19, les communes peuvent être autorisées à exécuter des travaux extraordinaires d'amélioration, à la condition d'en supporter la dépense. D'après l'article 20, les travaux de ce genre peuvent être ordonnés d'office par le roi ou par les députations permanentes; et dans ce cas, la moitié de la dépense est supportée par l'Etat et par la province.

« L'article 19 vise donc des travaux d'intérêt local ; l'article 20, des travaux qui sont à la fois d'intérêt général, ou provincial et qui se confondent avec l'intérêt local.

« Appliquées aux cas spéciaux qu'elles prévoient, ces dispositions ne soulèvent pas d'observations ; mais il y a des cours d'eau dont l'amélioration est à la fois d'intérêt général, provincial et communal.

« Comment, pour cette catégorie de cours d'eau, se répartira la dépense des travaux extraordinaires dont la nécessité aura été reconnue ? Le projet ne le dit pas. Les articles 19 et 20 semblent exclure la possibilité d'une intervention simultanée de l'Etat, de la province et de la commune.

S'il en était ainsi, je ne saurais donner mon adhésion aux dispositions proposées, parce que je suis intimement convaincu que, dans la plupart des cas, l'amélioration du régime des cours d'eau ne sera possible qu'à l'aide des subsides réunis, venant suppléer à l'insuffisance des ressources locales.

« C'est le principe qui a été adopté pour la voirie vicinale; et il est bien certain que, sans l'effort combiné dont je viens de parler, la plus grande partie du royaume serait peut-être encore privée de routes pavées.

« Une répartition plus équitable de la dépense pourra seule prévenir l'opposition des communes rurales dont les ressourcees sont généralement si restreintes et absorbées par d'autres besoins administratifs.

« Toutefois, j'aime a croire que l'article 20 ne comporte pas une interprétation aussi absolue. Il règle des cas spéciaux ; mais ne préjuge pas les mesures qui pourraient être prises en dehors des cas prévus, et n'interdit pas au gouvernement de faire intervenir l'Etat, par voie de crédits spéciaux, dans les dépenses d'amélioration pour lesquelles l'opportunité de cette intervention conjointement avec celle de la province serait reconnue.

« Si cette interprétation n'était pas admise, je n'hésite pas à dire que, le plus souvent, la loi resterait une lettre morte, et cela au grand préjudice de l'agriculture, qui, vous le savez, traverse une crise redoutable.

« J'engage donc M. le ministre de l'intérieur, afin de faire cesser tout doute, à faire connaître au Sénat l'appréciation du gouvernement sur la question que je viens de soulever ».

M. LE coMTE DE MÉRoDE-WEsTERLoo : « les craintes que vient d'exprimer l'honorable sénateur d'Eecloo sur le sens restrictif de l'article 20 de la loi soumise à nos délibérations, sont partagées par presque tous ceux qui ont à se préoccuper de la situation qui sera faite, dans l'avenir, aux provinces traversées par des cours d'eau ayant une faible pente et exigeant des améliorations coûteuses, alors que leur sol n'est point assez riche pour supporter la dépense nécessaire et que l'on peut caractériser d'intérêt général ; car j'appelle, moi, travail d'intérêt public celui dont le résultat doit amener une augmentation relative, mais directe, de richesse pour le pays et pour le trésor public, dans un avenir peu éloigné. Je ne crois pas pouvoir être contredit sur ce point.

« J'estime donc comme si indispensable la continuation des travaux d'amélioration à certaines de nos rivières de la province d'Anvers, d'après l'ancien mode de contribution aux frais de ces travaux, que si les explications de M. le ministre de l'intérieur ne me donnaient pas la certitude que l'article 20 n'est point obstatif à ce qu'il en soit encore ainsi dans l'avenir, je me croirais en conscience obligé de déposer un amendement à cet article, reproduisant, à peu de chose près, celui qui fut déposé dans une autre enceinte par le rapporteur de la section centrale. Il est vrai que l'honorable rapporteur de notre commission de l'intérieur a indiqué, mais un peu timidement, dans un paragraphe de son rapport, que l'interprétation restrictive donnée à l'article 20 n'est pas celle qu'il comporte, mais je préfère néanmoins entendre de la bouche même du ministre, chargé d'appliquer la loi, que l'interprétation donnée généralement à l'article 20 n'est point celle du gouvernement.

« De grands intérêts agricoles sont ici en jeu, et le Sénat s'en est toujours montré le gardien vigilant. Il y a, en effet, tel travail, dans la province a laquelle j'appartiens, qui transformerait deux mille hectares de prairies marécageuses en prés dignes de ce nom, pouvant nourrir un nombreux bétail, et l'accroissement du bétail, c'est le développement de l'agriculture, d'une part, et de nos ressources alimentaires, d'autre part.

« Mais, travailler à multiplier l'élevage de la race bovine en Belgique, c'est, je ne cesserai de le répéter dans cette enceinte, c'est développer un de ses principaux éléments de richesse nationale, c'est faire de bonne et durable économie politique.

« Eh bien, que faut-il pour que ces travaux, dont les préliminaires sont achevés, puissent être commencés et menés à bonne et prompte fin ? Il ne faut qu'une chose, que l'article 20 de la loi en discussion ne soit pas, désormais, un obstacle à l'exécution de travaux de ce genre, dont la dépense puisse être répartie, concurremment, entre l'Etat, la province et les communes. N'oublions pas aussi, que l'hygiène est intéressée, à un haut degré, à l'exécution de semblables travaux. C'est pour ces motifs que j'attache à la réponse du gouvernement une si haute importance ».

M. Delcour, miniStre de l'intérieur : « J'espère, par les explications que j'aurai l'honneur de donner au sénat, lever les doutes qui viennent d'être indiqués. Il est essentiel de bien se pénétrer de l'esprit du projet de loi.

« Dans le chapitre précédent, on s'est occupé des travaux de curage, des travaux ordinaires d'entretien. Dans le chapitre III, il est question des travaux extraordinaires d'amélioration.

« Il s'agit ici de ces travaux tout spéciaux qui seront ordonnés soit pour servir les besoins des communes ou des particuliers, soit pour répondre à un intérêt général. Le cours d'eau peut desservir un intérêt local.

« C'est pourquoi l'article 19 dispose que, dans ce cas, l'autorité communale pourra ordonner les travaux avec l'approbation de la députation permanente. Seulement, comme ces travaux peuvent intéresser d'une façon toute spéciale certains habitants de la commune ou d'autres communes, il sera permis aux députations permanentes et aux conseils provinciaux de répartir la dépense d'après le degré d'intérêt et les avantages que chacun retirera des travaux extraordinaires.

« Je ne prévois aucune difficulté sous ce rapport.

« Les communes ou les particuliers supporteront les dépenses. Mais des communes peuvent être récalcitrantes ; il peut être quelquefois utile d'ordonner d'office des travaux d'amélioration.

« Dans la législation actuelle les droits et l'autorité provinciale et du gouvernement n'étaient pas reconnus suffisamment. On avait élevé des doutes sur l'étendue du pouvoir de ces autorités.

Ces doutes devaient être dissipés par un texte qui ne fût  plus contesté. C'est ce qu'on a fait dans l'article 20 :

« Les travaux extraordinaires ou d'amélioration peuvent être ordonnés d'office par le roi ou par la députation permanente, les conseils communaux préalablement entendus.

« La moitie des dépenses, au moins est supportée respectivement par l'Etat ou par la province.

« Le surplus est a charge de la commune du lieu de situation. Néanmoins, si les travaux intéressent d'autres communes, le roi ou la députation permanente peut mettre à leur charge une part de cette dépense proportionnée au degré de l'intérêt qu'elles ont respectivement a l'exécution desdits travaux.

« Cette disposition est équitable.

« Il est naturel que la province intervienne pour la moitié si la députation permanente décrète un travail d'office. La même part d'intervention a été admise, si c'est le gouvernement qui prend l'initiative et ordonne des travaux.

« Sous ce rapport, les dispositions du projet de loi n'ont rencontre aucune critique, ni au conseil supérieur d'agriculture, ni ailleurs. Mais les honorables membres ont soulevé une autre question : celle de savoir si cet article s'oppose à une intervention du gouvernement lorsque, dans un cas particulier, il reconnaitrait, d'accord avec les provinces et les communes, l'utilité d'un travail d'intérêt général.

« Non, il ne s'agit pas de ce cas dans l'article 20. Telle a été aussi l'interprétation donnée à la loi par la commission même du Senat, dans le rapport qu'elle vous a présenté.

« S'il s'agit d'améliorer des cours d'eau d'une grande importance, intéressant à la fois l'Etat, la province et les communes, une instruction spéciale aura lieu; elle permettra d'établir, d'une manière certaine le caractère d'intérêt général des travaux et si cet intérêt est parfaitement établi, l'Etat par une loi spéciale déterminera exceptionnellement sa part d'intervention dans la dépense.

Il réclamera des fonds des Chambres et celles- ci pourront contrôler la nature de la dépense et en apprécier l'utilité.

« Je crois qu'expliquées dans ce sens, les dispositions des articles 19 et 20 du projet de loi peuvent être votées sans crainte pur les honorables membres ».

Et, plus loin, répondant à une observation de l'honorable M. H. Dolez, M. Le ministre de l'intérieur ajoutait : Il y a de travaux à exécuter aux cours d'eau qui sont d'intérêt général. 11 est évident que les frais de ces travaux seront supportés par l'Etat.

Ainsi je suppose qu'on décrète que tel cours d'eau qui n'est point navigable le deviendra à l'avenir, il est certain que, dans cette hypothèse, les frais tomberont à charge de l'Etat. - Ainsi encore, quand il s'agit d'une rivière navigable, les travaux d'entretien et d'amélioration sont à la charge de l'Etat.

« J'écarte donc cette première hypothèse, qui n'est pas, du reste, celle à laquelle se rapporte la question posée par l'honorable sénateur.

« Je ne parle pas non plus des travaux d'amélioration qui seraient ordonnés d'office par la députation permanente ou par le roi; j'ai indiqué les principes du projet applicables dans ces cas.

« Ces travaux tombent sous l'application de l'article 20, et la dépense en sera supportée conformément au principe rappelé dans cet article.

« Les observations de l'honorable M. Dolez portent sur le point suivant : Faudra-t-il une loi spéciale pour payer le prix de ces travaux, ou bien le budget renfermera-t-il un crédit général sur lequel la dépense sera imputée ?

« Je crois que c'est bien ainsi que la question m'a été posée ».

M. H. DOLEz ; « Parfaitement ».

M. DELeoUR, ministre de I ‘intérieur : « Il n entre pas dans les intentions du gouvernement de porter au budget un fonds spécial, comme il en existe un pour la voirie vicinale.

« D'après la déclaration faite à la chambre par mon honorable collègue, M. le ministre des finances, il faut réserver à la législature les cas exceptionnels qui peuvent se présenter. On réservera à des lois spéciales les circonstances exceptionnelles dans lesquelles l'intervention de l'Etat serait légitime. Serait justifiée par l'amélioration de cours d'eau qui, d'après leur destination même, ne sont pas d'intérêt général.

« Lorsqu'un travail sera reconnu nécessaire, le gouvernement, après en avoir fait une étude complète, pourra proposer à la législature les crédits nécessaires pour le payer. Nous resterons ainsi dans les principes constitutionnels, sans engager l'Etat au delà de ses besoins et de sa volonté.

« Veuillez remarquer (et ce point mérite d'attirer l'attention du Sénat) dans quelle situation le gouvernement pourrait se trouver si ces principes n'étaient pas admis.

« Je suppose qu'une députation permanente ordonne d'office l'amélioration d'un cours d'eau.

« Cette résolution, très-importante au point de vue administratif, doit être approuvée par le roi.

« Il est évident que l'approbation que le roi est appelé à donner en pareille circonstance (approbation purement administrative, eu égard aux conséquences que définit le projet de loi), n'aura pas pour effet d'entraîner l'Etat dans une dépense qu'il voudrait ne pas avoir à supporter.

« Or, si vous obligez l’Etat à supporter, dans tous les cas prévus par l'article 20, une part quelconque de la dépense, vous le mettrez dans l'impossibilité d assurer l'exécution d'un travail qui aurai de l'utilité ». (Séance du ter snai 1877. - Ann. parl., p. 81 et s.)

[10] M. Delcourt ministre d€ l'intérieur ; « l'honorable M. Sainetelette désire savoir si, par les mots propriétaires intéressés, on entend seulement les propriétaires riverains ou bien tous les propriétaires qui doivent profiter des travaux. La réponse à cette question est indiquée clairement dans l'Exposé des motifs, comme j'ai déjà eu l'honneur de le faire remarquer. Il y est dit :

« Ainsi, non-seulement les riverains et les usagers, mais tous ceux auxquels ces ouvrages doivent profiter, soit en préservant leurs héritages des inondations, soit en les asséchant, etc., sont compris dans la généralité des termes de l'article 20 ».

« Voilà comment l'honorable M. Pirmez, auteur du projet de loi, a interprété la disposition. Cette citation ne peut laisser aucune place au moindre doute. Il en résulte que, par propriétaires intéressés, il faut entendre non-seulement les propriétaires riverains, comme dans le cas de l'article 14, mais tous les propriétaires qui pourront  étre appelés à profiter du travail extraordinaire décrété par la députation permanente ». (Ibid. - Ann. parl., p. 406.)

[11] Le projet ajoutait le numéro suivant : « Ceux qui feront , à une distance moindre de 1m,23 de leurs bords, des plantations d'arbres de haute futaie ».

Cette disposition a été supprimée sur la proposition de M. de Zerezo, qui disait

« La section centrale a pensé qu’il serait utile de ne pas prescrire dans la loi la distance exacte des rives à laquelle les plantations d'arbres de haute futaie doivent être faites dans toutes les provinces du pays.

« En effet, sous ce rapport, nos diverses rivières ne se trouvent pas exactement dans les mêmes conditions.

« Dans nos provinces montagneuses, les cours d'eau sont souvent torrentueux et profondément encaissés, tandis que dans celles qui se composent; d'un territoire plat et uni, les rivières n'ont souvent que peu de pente et présentent des berges en talus.

« Il est évident que les dispositions qui doivent être appliquées à des cours d'eau si différents ne peuvent pas être les mêmes.

« A ce propos, je ferai observer que la députation de la province de Namur, dans un rapport qu'elle a fait parvenir à l'honorable ministre de l’intérieur, a déclaré que pour ce qui concerne les rivières de cette contrée, il ne faut pas du tout proscrire les plantations des berges ; qu'au contraire, il est très-utile de les boiser, pour empêcher les éboulements.

« Vous voyez donc qu'une disposition générale, prescrivant exactement la distance à laquelle les arbres doivent être plantés, pourrait offrir des inconvénients. C'est pourquoi la section centrale propose de la supprimer dans la loi.

« Les règlements provinciaux pourront, plus tard, prendre les dispositions voulues à ce sujet ». (Ann. parl.. p. 436.)

[12] Sauf les exceptions, etc. M. SCHoLLAERT justifiait cette disposition en ces termes :

« Dans les pays industriels, dans les pays de manufactures, on peut avoir besoin des eaux, non pas pour les irrigations ou l'autres usages agricoles, mais au contraire pour des besoins et des intérêts industriels très-respectables.

«  Comme on le disait hier, les propriétaires de l'eau sont comme des espèces de communistes et, si tous les communistes sont d'accord, pourquoi ne permettrait-on pas à l'administration supérieure, et même à la députation permanente, de répondre à ces besoins?

« C'est pour cela que, dans le n° 5, on a statué que ces défenses ne seraient absolues qu'à défaut d'un règlement à faire par la députation permanente, et il me semble que cette précaution justifie complètement la disposition.

« Qu'arrivera-t-il, par exemple, le long d'un cours d'eau dont on aura besoin pour laver le minerai de fer ou pour laver les laines, et sur le bord duquel il n'y a que des hauts fourneaux et des fabriques de drap ? L'administration, dans sa sagesse, appréciera s'il n'y a pas lieu, du consentement de tous les riverains, de décréter, par un règlement spécial, que certaines substances plus ou moins nuisibles, plus ou moins contaminantes, pourront être jetées ou déposées dans le cours de la rivière ?

« Mais, évidemment, la députation permanente, par le règlement provincial, n'admettra cette dérogation aux règles ordinaires que sous réserve des droits des tiers. Elle le fera dans un intérêt public et, si tous les tiers sont d'accord, elle le fera également dans l'intérêt commun des riverains, qui feront de l'eau l'usage qui leur convient le mieux, qui emploieront cette eau pour satisfaire à leurs besoins spéciaux.

« Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'en cette matière le pouvoir supérieur, le pouvoir dans lequel résident les véritables attributs du domaine éminent, c'est l'administration supérieure. Toutes ces dispositions se trouvent sous la tutelle de l'Etat, qui n'a d'autre intérêt que d'assurer le bien-être de tous et de répondre à tous les besoins.

« Envisagé à ce point de vue, le no 5 me paraît complètement satisfaisant, et, même dans la partie que mon honorable contradicteur critique spécialement, nous n'avons fait qu'un acte de prévoyance et de bonne législation.

« Je citerai un autre exemple qui sera très-bien compris par la chambre, parce qu'il a une grande notoriété et qu'il date même de plusieurs siècles.

« Nous avons des provinces riches où la culture du lin est pour ainsi dire le véritable fond de la fortune locale.

« Eh bien, le lin doit être roui ; sans ce rouissage, qui contamine les eaux dans une certaine mesure, un élément de prospérité très-considérable viendrait à disparaître dans nos Flandres.

Nous avons donc voulu que, dans une telle situation, l'autorité provinciale pût par un règlement spécial régler l'usage de l'eau auquel tous les riverains sont intéressés. Pourquoi voudrait-on détruire par un excès de rigueur une industrie séculaire et qui est plus florissante et plus féconde que jamais ?

« Vous le voyez, le 5° a tenu compte de toutes ces éventualités. Ceux qui laisseront couler des liquides et déposeront des matières pouvant corrompre ou altérer les eaux seront punis, mais sauf les règlements spéciaux que feront les conseils provinciaux ». (Ann. parl., p. 442.)

- Un membre avait proposé d'ajouter au n° 5° la disposition suivante :

« En cas de récidive ou de continuité de pollution des ruisseaux, les tribunaux pourront ordonner la fermeture des usines, travaux ou égouts qui jettent les matières ou eaux sales dans les cours d'eau, jusqu'a ce qu'ils aient pris les mesures nécessaires pour conserver la pureté des eaux ».

La chambre a repoussé cet amendement sur les observations suivantes de M. DF,LeoUR, ministre de l'intérieur ;

« Les règlements existants établissent que lorsqu'une autorisation aura été accordée par le pouvoir administratif, cette autorisation pourra être modifiée, retirée ou soumise à des conditions nouvelles suivant les circonstances. L'administration a donc un pouvoir complet, absolu. Le seul point qui reste à examiner est celui de savoir s'il ne conviendrait pas d'établir dans les règlements provinciaux une peine plus forte à l'égard des usiniers en état de récidive.

« Cet examen aura lieu et, par la force même des choses, les règlements provinciaux, qui prévoient les différentes hypothèses qui peuvent se présenter, détermineront la nature de la peine, suivant la gravité de la contravention.

« Si un usinier est en état de récidive, le règlement provincial pourra, au lieu d'une amende comminée contre la première contravention, prononcer l'emprisonnement jusqu'à sept jours, puisque cette peine peut être appliquée aujourd'hui par les tribunaux de simple police.

« Je tiens à établir que l'honorable membre se place à un point de vue véritablement erroné. Il s'imagine que les administrations publiques sont désarmées ou qu'elles ne prennent aucun souci de la conservation des eaux, comme si elles étaient disposées à prêter la main à toutes les mesures de nature à nuire à l'intérêt public. Une théorie qui repose sur des suppositions aussi inexactes est condamnée d'avance, parce qu'elle est contraire à la réalité des faits.

« Ce n'est pas en Belgique, où sous les règlements en vigueur on n'a signalé que des faits ordinaires , - à part quelque cas isolé auquel l'administration a paré dans la mesure du possible - qu'il est nécessaire de donner aux tribunaux un pouvoir exorbitant et d'accorder au juge, en cas de récidive, d'ordonner la fermeture d'une usine dans laquelle un industriel aura peut-être engagé toute sa fortune ou qui occupe une nombreuse population ouvrière ». (Ann. parlem., p. 441.)

[13] Préjudicieront à leur état normal.

M. DE ZEREZo DE TEJADA, rapporteur : « La section centrale a trouvé que le § 1er de l'article 37 était conçu dans des termes trop absolus. « En effet, elle ne voit pas la nécessité de punir au moyen d'amendes :

'« Ceux qui... modifieront l'état normal des cours d'eau par l'enlèvement de gazons, terres, boues, sables, graviers ou autres matériaux ».

« Je ferai observer à la chambre qu'il arrive très-souvent que lorsque le riverain enlève les graviers, il rend un véritable service au cours d'eau, parce que ces graviers finissent par constituer des atterrissements qu'il est bon de supprimer.

« D'un autre côté, je ne vois non plus aucune espèce d'inconvénient à ce que l'on extraie les herbes qui se trouvent à la surface du lit des rivières et qui constituent un très-bon engrais. Quant aux boues, c'est exactement la même chose. Celles-ci envasent le cours d'eau, elles empêchent son libre écoulement, et je crois qu'il est utile de les faire disparaître.

« Il est incontestable que beaucoup de ces opérations prévues par le $ 1er de l'article 57 peuvent ne constituer aucun fait délictueux.

«Il a donc semblé à la section centrale qu'il fallait modifier le § 1er de l'article 37 dans les termes suivants : « Seront punis..., etc... ceux qui préjudicieront à l'état normal et régulier des cours d'eau par l'enlèvement de gazons, terres, boues, sables, graviers ou autres matériaux ». (Séance du 27 février 1877. - A nn. part., p. 456.)